la Rétrospective Max Ernst
à propos de l'exposition au Musée national d'Art moderne, du 13 novembre au 31 décembre 1959
- par ailleurs :
La première grande exposition rétrospective de Max Ernst en France, au Musée national d'Art moderne, consacre enfin l'intrusion d'un univers parallèle au sein du nôtre ; après avoir fait éclater les normes picturales, ce peintre, révélateur des mondes qui nous côtoient, se voit attribuer une caution officielle, peut-être pour dissimuler, à la veille des voyages interplanétaires, ce que son œuvre doit à la réalité de demain.
Il n'est pas dans mon intention de retracer, même sommairement, les étapes de la vie et de l'œuvre de Max Ernst (ce qui nous entraînerait vers un ouvrage de fort tonnage, que l'on peut d'ailleurs trouver dans toutes les bonnes librairies), mais plutôt de tenter de situer le point de jonction qui existe entre sa peinture et la Science-Fiction.
Ce “jeune homme intrigué par le vol d'une mouche non euclidienne” n'est pas un mutant ; il ne possède aucun des pouvoirs spéciaux qui lui permettraient de transgresser physiologiquement les interdits nous retenant toujours sur notre bonne vieille planète. S'il veut donc percer les secrets qu'il entrevoit et se libérer des contingences picturales que certains de ses prédécesseurs en scandale (de Van Gogh à Paul Klee) avaient essayé de contourner, il devra utiliser des procédés nouveaux pour développer les photographies mentales des univers qu'il cherche à fixer afin de pallier l'incapacité de l'homo sapiens.
Avant d'esquisser un portrait de son œuvre, je voudrais procéder ici à la nomenclature des principaux moyens utilisés par Max Ernst pour divulguer ses images mentales :
Le collage (les lecteurs de Fiction peuvent consulter les anciennes couvertures du magazine pour comprendre ce procédé) : il s'agit, à l'aide d'éléments empruntés soit à des gravures sur bois, soit à des photographies, soit même à d'autres tableaux, d'intégrer de nouveaux personnages, de nouveaux objets à une scène choisie, pour y faire naître l'insolite et définir ainsi les relations entre ces éléments étrangers et l'univers préexistant.
Le frottage : il s'agit de glisser sous une feuille de papier ou sous une toile des matériaux tels que planches de bois, minerais, sable, etc., et d'en révéler le relief, c'est-à-dire leurs contours spectraux, en frottant la feuille ou la toile soit avec du graphite, soit avec de la peinture.
La décalcomanie : c'est une extrapolation du procédé dit “des taches d'encre” utilisé couramment dans les tests. Le peintre mélange des couleurs au hasard sur un plan et contrecolle celui-ci sur une toile ! Sous la pression les taches se mêlent, les couleurs s'interfèrent et dessinent le profil de paysages, de formes, d'animaux étranges qu'il faut dévoiler peu à peu en retravaillant l'œuvre.
Mais tous ces moyens de “forcer l'inspiration” n'expliquent pas la réussite d'un peintre ni la continuité de son œuvre. Max Ernst, s'il a su inventer ces subterfuges, s'est vu suivi par des centaines d'imitateurs qui n'ont jamais pu, comme lui, transcrire la vision fantastique des univers qu'il entrevoyait. Car Ernst a du génie et ses tableaux révèlent effectivement les paysages du surréel.
On distingue cependant, grosso modo, trois époques dans son œuvre : la première, toute de violence et d'humour, correspondant au mouvement Dada, où le peintre, négligeant tous les artifices conventionnels de la peinture, s'est livré à des jeux incongrus ; la seconde, toute d'ivresse et de délire, ou il s'est joué des postulats pour libérer la puissance de son imagination et recréer de nouveaux univers ; la dernière, enfin, où Max Ernst, ayant dompté les éléments et assouvi ses instincts révolutionnaires, utilise toutes les ressources de son art pour découvrir les charmes d'un rêve plus quiet, aux couleurs luxuriantes.
Enseigne pour une école de cristaux, Dans une ville pleine de mystère et de poésie, la Mariée du vent, Monuments aux oiseaux, Fleurs-arêtes, À l'intérieur de la vue, Figure anthropomorphe, Jardins gobe-avions, Aux antipodes du paysage, Après moi le sommeil, etc., tels sont les titres significatifs de l'œuvre de Max Ernst, par lesquels il nous fait assister au déploiement de phantasmes, de mariages insolites, à une suite de fantaisies minérales, végétales, solaires ou marines qui constitue réellement la première tentative de description systématique des mondes que nous voudrions connaître.
Villes cyclopéennes et désertes, forêts munies de dards, fleurs vénéneuses, pièges pour machines, tremblements de terre doux, paysages qu'un attouchement distord, cohortes de dieux sans nom, arbres pétrifiés, pierres vivantes, portraits à x dimensions, déserts minuscules, voilà les sujets des toiles de Max Ernst : les images des planètes interdites.
C'est une exposition que tout amateur de Science-Fiction, qu'il soit rebelle à la peinture, tenant de la figuration ou partisan de l'abstraction, se doit de voir.