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Vous êtes ici : Quarante-Deux Archives stellaires Gérard Klein : à l'auteur inconnu 2

Gérard Klein

À l'auteur inconnu 2

Première parution : NLM 12, mars 1988

L'angoisse hante généralement le cœur de l'écrivain, même chevronné, qui adresse un manuscrit à une maison d'édition. Au creux de la nuit, elle engendre bien des fantasmes que l'éditeur est parfois surpris de voir partagés par des auteurs confirmés.

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L'un des tout premiers veut qu'il soit nécessaire d'avoir des relations dans la place pour être publié. Un de ses corollaires est que les manuscrits simplement déposés ou envoyés par la poste ne seraient jamais lus, du moins sérieusement.

Ces deux convictions répandues sont totalement erronées. Toutes les grandes maisons dépensent une énergie et un argent considérables pour examiner tous les manuscrits qu'elles reçoivent, d'où qu'ils viennent. Une seule exception doit être apportée à ce principe : certaines collections de poche et la totalité des clubs de livre ne publient par principe jamais d'inédits. Il est donc tout à fait inutile de leur adresser des manuscrits. C'est par exemple le cas du Livre de Poche et de France Loisirs.

Des auteurs éminents ont commencé leur carrière en expédiant un manuscrit par la poste. Ce fut, dans notre domaine, le cas de Michel Jeury. Et le mien.

De même, il est inutile, dans le domaine de l'édition, de chercher à protéger un manuscrit ou même un titre par une forme quelconque de “dépôt légal”. Je n'ai jamais rencontré ni même entendu parler d'une affaire sérieuse de plagiat d'un manuscrit inédit. Il n'en va pas de même dans les domaines du cinéma ou de la télévision, mais cela est une tout autre histoire.

Lorsqu'un manuscrit parvient à une maison d'édition, il est d'abord pris en main par le service des manuscrits. Celui-ci l'enregistre et en accuse généralement réception à l'auteur. Puis il l'oriente, en fonction des indications contenues dans la lettre d'accompagnement, vers un premier lecteur plus ou moins spécialisé.

Ce premier lecteur remplit une fiche où il résume plus ou moins bien le manuscrit et donne son avis. Si ce premier avis est franchement négatif, le service des manuscrits en avertira l'auteur en lui indiquant les modalités de récupération de son texte. Si cet avis est hésitant ou favorable, le manuscrit sera transmis à un second lecteur, parfois le directeur de collection qui lira lui-même ou fera relire. Dans le doute, tout manuscrit est relu.

Cette procédure implique des lectures successives et donc des délais accrus à mesure que le manuscrit franchit les barrages successifs. Un certain délai dans la réponse peut donc, sous toute réserve, être considéré comme positif. La plupart des grandes maisons répondent dans des délais qui vont de un à trois mois, ce qui, vu de l'intérieur, est loin d'être excessif. Il convient toutefois de tenir compte des périodes de vacances et un manuscrit reçu le 13 juillet risque fort de n'être pas examiné avant septembre. Les lecteurs s'abstiennent également en général de lire le jour de Noël, le premier janvier et à Pâques.

Une réponse personnelle d'un directeur de collection, même si elle est négative, doit être considérée comme un grand honneur et être encadrée.

La plupart des auteurs espèrent généralement recevoir des indications précises et des conseils. Malheureusement, les éditeurs n'ont en général pas le temps de leur en donner. La critique attentive d'un manuscrit est un gros travail qui peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, d'un personnel hautement qualifié. Une maison d'édition n'est ni une école, ni un institut de formation à l'écriture, mais une entreprise qui doit consacrer l'essentiel de ses efforts à la promotion des ouvrages qu'elle publie. Elle n'a pas à justifier ses décisions. Il est donc inutile de solliciter de tels conseils. S'il estime devoir et pouvoir en donner, l'éditeur le fera spontanément pour encourager un auteur chez qui il décèle un potentiel.

Un service des manuscrits courtois et bien organisé ne dira jamais à un auteur que son ouvrage est mauvais ou impubliable. Il invoquera toujours des raisons plus ou moins contournées qu'il vaut mieux ne pas prendre au pied de la lettre. Il est donc inutile de se lancer dans une correspondance explicative avec un service des manuscrits. Il arrive cependant qu'un manuscrit honnête, voire publiable, ait été adressé par l'auteur à une maison mal choisie. Un refus doit donc fournir l'occasion d'une remise en question plutôt que d'une dépression.

Ne vous attendez pas à ce qu'une maison d'édition vous retourne votre manuscrit à ses frais. Elle vous laissera probablement le choix entre la récupération de l'objet dans ses locaux ou le renvoi en port dû.

Le refus d'une maison d'édition est, sauf exceptions rarissimes, sans appel. Il est donc inutile de renvoyer le même manuscrit — même en en changeant le titre —, à moins de transformations substantielles, à la même maison, ou de tenter de contourner l'obstacle supposé en s'adressant à tel de ses collaborateurs ou à son Suprême directeur, ou encore — cela se voit — au chef-comptable. De toute façon, le manuscrit empruntera le même trajet et, comme les services des manuscrits possèdent des fichiers bien faits, la ruse sera vite éventée.

Il est déconseillé et même carrément maladroit, au moins pour un débutant, d'envoyer simultanément le même manuscrit à plusieurs maisons. Si cela se sait — et le monde de l'édition est petit —, la réponse risque d'être rapide, brève et négative. Un éditeur n'aime pas consacrer du temps, et donc de l'argent, à un manuscrit qui peut lui échapper. Sauf improbable coup de cœur, il risque de se décourager. Il vaut mieux être patient et tenter sa chance ailleurs ensuite en cas de refus.

Dans le même esprit, il est préférable de ne pas envoyer à une maison un manuscrit abondamment feuilleté dans une autre et qui porte encore parfois son numéro d'enregistrement — il m'est même arrivé de retrouver des fiches de lecture entre les pages. S'il est matériellement impossible d'envoyer une photocopie fraîche, ce qui reste recommandé, il vaut mieux exposer la vérité dans la lettre d'accompagnement. Une fois encore, un refus lié à une erreur d'orientation n'est pas infamant.

Afin d'éviter une telle erreur, il est préférable pour l'auteur de se renseigner sur les productions de l'éditeur visé et sur le contenu de la collection cible, s'il y en a une, ce qui est généralement le cas dans notre domaine. Une visite approfondie d'une grande librairie ou d'une bibliothèque suffit généralement à se faire une bonne idée de la production d'un éditeur. Le conseil d'un spécialiste authentique, par exemple d'un bon libraire, peut également aider.

À titre indicatif, je reçois assez souvent des lettres d'accompagnement qui commencent par : « Il paraît que vous éditez de la Science-Fiction, aussi je vous ai envoyé […] ». Un auteur qui n'a pas la moindre idée de ce que je publie dans "Ailleurs et demain" ne me semble pas très professionnel. Cela est tout aussi valable pour mes confrères. De la même manière, il m'arrive de recevoir pour cette même collection des manuscrits qui relèvent du Fantastique le plus classique. C'est assurément une perte de temps pour l'auteur.

Un auteur, même désespéré, ne doit jamais accepter une formule d'édition dite à compte d'auteur ni s'adresser à une maison qui la pratique. Aucune maison sérieuse, grande ou petite, ne pratique le compte d'auteur. Tout somme demandée à un auteur pour l'édition de son livre sera irrémédiablement perdue et la diffusion de son livre en librairie sera inexistante. Il n'aura aucune chance sérieuse de bénéficier de l'attention de la presse. À tout prendre, il vaut mieux s'auto-éditer.

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Tout cela peut paraître décourageant et injuste, mais il y a des survivants et les librairies sont pleines de leurs œuvres. J'évoquerai ce qui se passe si un éditeur vous dit « oui » ou « peut-être » dans ma prochaine rubrique.