Gérard Klein : préfaces et postfaces
Gregory Benford : les Profondeurs furieuses
Livre de poche nº 7237, février 2002
La série du Centre galactique, due à Gregory Benford, illustre parfaitement la dimension épique, la grandeur, à la fois du côté de la taille et du cadre cosmique, et aussi la difficulté tant pour l'auteur que pour ses éditeurs et traducteurs, de la production et de la publication des grandes sagas galactiques qu'affectionnent les anglo-saxons.
Elle ne comporte pas moins de six volumes publiés initialement entre 1978 et 1995, répartis entre plusieurs éditeurs américains et pour les traductions entre deux éditeurs français. J'ai bon espoir de parvenir un jour à les réunir tous au Livre de poche. À dire vrai, ce cycle remonte plus loin encore puisque son héros, Nigel Walmsley fit sa première apparition en 1970 dans une nouvelle, "Icarus Descending" par la suite intégrée au premier volume de la série. Un bon quart de siècle pour une telle série, ce n'est pas de trop. Après tout, Frank Herbert en mit autant à élaborer son cycle de Dune sans pour autant le conclure, et Isaac Asimov étala sur près d'un tiers de siècle la composition des Fondations.
Afin d'aider le lecteur à s'y retrouver et en m'efforçant de ne pas déflorer les volumes qu'il lui resterait à découvrir, je vais tenter de lui donner quelques indications.
L'ensemble du cycle s'étire sur plus de 35 000 ans. Gregory Benford en donne une chronologie relativement détaillée à la fin du dernier volume sur lequel je reviendrai. Les titres aujourd'hui publiés correspondent à une petite partie de cette vaste histoire du futur, tenant à ses deux extrémités, la plus proche de notre présent et la plus éloignée, les événements ne pouvant plus être présentés d'après l'auteur sous forme de récit au delà de 37518.
Les deux premiers volumes, Dans l'océan de la nuit (1) et À travers la mer des soleils (2), introduisent le personnage de Nigel Walmsley, britannique et astronaute, dès l'an 1999 où il découvre dans l'espace un artefact extraterrestre. Entre autres caractéristiques remarquables, Nigel Walmsley présente celle de traverser tout le cycle, c'est-à-dire de vivre au moins trente-cinq mille ans, en partie grâce à la dilatation relativiste du temps aux approches de la vitesse de la lumière et en partie évidemment aussi grâce à diverses technologies du futur. Inutile d'insister sur le fait que c'est un dur à cuire qui a survécu à presque toutes les catastrophes imaginables. Je vous préviens tout de suite : il a un caractère épouvantable qu'un contact intime avec une intelligence extraterrestre n'a pas amélioré.
Dans ces deux premiers volumes, Walmsley, qui n'est encore qu'une sorte de bébé galactique, entre en contact avec une sonde étrangère puis participe à une exploration interstellaire qui préfigure la colonisation de la galaxie par l'humanité et surtout la marche de cette dernière vers le centre galactique. Je ne peux me priver ici du plaisir de citer la dernière phrase de À travers la mer des soleils : « En route, dit-il (Walmsley), et il désigna le centre galactique. »
Ces deux volumes posent aussi ce qui va constituer l'argument principal de tout le cycle : la guerre inexpiable entre les humains (et toutes les civilisations biologiques) et les machines intelligentes. Celles-ci savent qu'elles ont été créées par des intelligences biologiques issues de l'évolution de l'univers mais elles considèrent ces dernières comme des formes imparfaites et transitoires qu'il leur faut détruire. Les origines de ce conflit semblent plutôt obscures. Elles seraient liées à la volonté des machines de disposer pour elles seules de toutes les planètes fréquentables et de toutes les sources d'énergie disponibles, mais elle semblent au lecteur plutôt relever de la théologie : les machines souhaiteraient éliminer leurs créateurs, humains ou autres.
Soit dit en passant, un des gourous britanniques de l'intelligence artificielle, Hugo de Garis, semble avoir lu plus attentivement Benford et ses prédécesseurs dont Frank Herbert (3), que les travaux récents sur l'I.A. témoignant de progrès plutôt modestes pour ne pas dire insignifiants. Dans un entretien publié par le Monde, d'ordinaire plus sérieux (4), il prophétise pour le milieu du xxie siècle la destruction de l'humanité ou pour le moins sa réduction en esclavage par ses enfants électroniques. On mesure ici les effets pernicieux de la lecture de trop de Science-Fiction, même de bonne qualité, sur des cerveaux biologiques fragiles.
Sautons maintenant un peu plus de trente mille ans, ce qui explique peut-être que l'on change aussi d'éditeurs. Dans les trois volumes suivants, la Grande rivière du ciel (5), Marées de lumière (6) et les Profondeurs furieuses (7) que vous allez lire, la guerre entre humains et machines prend une tournure tragique. Chassée de sa citadelle détruite par des machines, la tribu des LeFou, en proie à une traque systématique, commence une longue errance d'abord sur sa propre planète puis à travers l'espace dans un vieux vaisseau humain miraculeusement retrouvé. Sa destination : le centre galactique qui semble offrir un havre sûr. Lorsque ses survivants finissent par y parvenir, qui trouvent-ils ? Nigel Walmsley qui, avec son sens certain de la réplique, affirme les attendre « depuis vingt-huit mille ans, à peu de choses près. Selon votre cadre de référence, naturellement. »
Dans le sixième et dernier volume, Sailing Bright Eternity, demeuré longtemps inédit en français (8), le conflit entre Biologiques et Machines atteint son paroxysme avant sa possible résolution. Je n'en dirai pas plus.
Voilà les choses mises en ordre pour autant qu'on puisse faire. Comme l'écrit lui-même Gregory Benford dans sa postface aux Profondeurs furieuses : « Des événements à cheval sur des dizaines de milliers d'années ne sont pas toujours faciles à unifier, surtout lorsque leur auteur est occupé à autre chose. »
À quoi serait donc occupé Benford ? Eh bien à la physique théorique qu'enseigne et que pratique ce professeur d'université. N'en doutez donc pas : tout, absolument tout, dans ce cycle serait strictement conforme au dernier état des connaissances scientifiques.
Pour ma part, j'en suis un peu moins convaincu. Même si, comme il le dit dans sa postface, Benford s'est efforcé « de maintenir les parties imaginées de ce roman et des précédents de la série dans les limites des contraintes établies par l'observation astronomique », je demeure persuadé que ce roman théoriquement de “hard science”, c'est-à-dire, dans le jargon des fans, de Science-Fiction résolument scientifique, demeure une œuvre d'imagination et un formidable roman d'aventures.
Notes
(1) Denoël, 1984 et 2001.
(2) Denoël, 1985 et 2001.
(3) Voir Destination : vide et ses suites dont l'Effet Lazare (le Livre de poche nº 7102) et le Facteur ascension (le Livre de poche nº 7154).
(4) Le Monde daté du mardi 9 novembre 1999.
(5) Robert Laffont, 1989 ; le Livre de poche nº 7171.
(6) Robert Laffont, 1990 ; le Livre de poche nº 7172.
(7) Robert Laffont, 1996 ; le Livre de poche nº 7237.
(8) Mais désormais à paraître chez Denoël, en 2002. Ainsi, la saga du Centre galactique retourne, au moins provisoirement, chez son premier éditeur, au bout de quinze ans ou de trente-cinq mille ans, selon votre cadre de référence.