Fromage de tête
Pourquoi j'aime la modernité ? Parce qu'elle gonfle le temps et qu'elle permet de disposer d'heures de liberté dont peu de privilégiés jouissaient auparavant. Au début des années quatre-vingt, le gouvernement de l'époque l'avait compris en créant le Ministère du Temps libre, qui a malheureusement disparu depuis.
« Mais de quoi parlez-vous en disant que le temps gonfle. » me demanderez-vous ? Prenons un exemple : l'autre jour, pour installer une pompe à chaleur dans ma maison, j'ai téléphoné à ERDF. Après plusieurs propositions numérotées qui ne me concernaient pas, la voix automatique au bout du fil m'a incité à composer mon code client à quatorze chiffres. J'y suis parvenu. Trente secondes plus tard, j'ai eu la satisfaction d'entendre une autre voix me dire : « Vous habitez au tel numéro, de telle rue, dans telle ville, code postal. ».
J'étais content d'apprendre où je demeurais. D'ailleurs, la voix a repris pour me demander si je résidais bien là. Comme j'étais informé, j'ai pu répondre : « Oui. ». Puis est venu l'interrogatoire afin de savoir pourquoi je téléphonais. Lorsque je suis parvenu à saisir ma question, j'ai tapé sur la touche correspondante. Les secondes se sont écoulées. Puis la voix m'a appris que j'aurais pu trouver des réponses sur l'internet, mais que si je voulais à tout prix un interlocuteur, je devais sélectionner une autre touche.
Ce que j'ai fait. Encore un peu d'attente. Cette fois, la réplique a été claire : « Pour plus de précision, composer ce numéro à quatre chiffres ; 0,15 € la minute. ».
Comme je voulais comprendre gratuitement quelles étaient les conditions requises pour joindre un erdfeur, j'ai recommencé par le même canal que le précédent. Déroulement similaire des séquences, même résultat.
Il n'y a pas si longtemps, je téléphonais à l'agence la plus proche. En trois minutes tout était trop facilement réglé. J'ai consulté ma montre. J'avais gagné près de quinze minutes. Quinze minutes pendant lesquelles j'aurais travaillé. Donc, quinze minutes de liberté. Ce qu'il fallait démontrer.
Depuis, j'ai établi un calendrier qui me permet de passer une journée entière à ne rien faire en appelant d'une ligne fixe différentes administrations, fournisseurs, etc., sans rien débourser. Par un coup de chance insigne, j'ai même réussi à joindre le cimetière (où, dans le pire des cas, je me reposerai définitivement) pour apprendre que tout était complet. Ce qui a confirmé mon souhait de ne pas assister à mon propre enterrement.
C'est beau, la technologie de la modernité. Saisissez-vous d'un stylo Pilot “remove by friction”. Vous écrivez quelques lignes de votre invention au roller, ce qui semble ineffaçable. Pas du tout, vous frottez avec l'autre bout et la fiction disparaît. C'est le stylo de l'homme invisible.
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.