Georges Panchard : Heptagone
roman de Science-Fiction par nouvelles, 2012
- par ailleurs :
Le deuxième roman (?) de Georges Panchard, Heptagone, dans la collection "Ailleurs et Demain" constitue un cas d'école intéressant. Car il marque un jalon significatif.
À partir de 1985, Gérard Klein décida que la science-fiction française n'avait aucun intérêt. Ainsi, Francis Berthelot, Serge Brussolo, Jean-Pierre Hubert, Jean-Pierre Andrevon, Jean-Marc Ligny tombèrent sous la condamnation du maître qui (selon des sources bien informées) se permit d'adresser à quelques-uns d'entre eux de vives remontrances pour leur incorrigible nullité.
Donc, ils n'eurent pas droit à la couverture métallisée, pas plus que Roland C. Wagner, Pierre Bordage, Ayerdhal, Serge Lehman, etc., une décennie plus tard. Il fallut attendre 2005, soit vingt ans après, pour que le gourou du malaise se décide à publier Forteresse, l'œuvre d'un écrivain francophone qui n'eut pas le succès d'Alexandre Dumas. Que se passa-t-il ensuite ? Très simplement, Gérard Klein republia pour la xième fois des nouvelles du meilleur des auteurs français, lui-même, récidiva l'année suivante. Puis il me concéda à regret la publication de Lothar blues, suivie plus tard d'un Lorris Murrail, Nuigrave, d'un Michel Jeury, May le monde.
Pour bilan, en dehors de quelques rééditions, Gérard Klein publia trois romans d'écrivains français de 1985 à 2011, contre près de 150 romans étrangers. La preuve était faite aux yeux des lecteurs de la collection : la science-fiction française ne méritait pas qu'on la publie. C'est en général ainsi qu'agissent les petits dictateurs en fin de course quand ils s'emploient à éliminer leurs rivaux potentiels.
Mais revenons à Heptagone, qui se situe dans le droit fil de Forteresse, en reprend les thèmes et les développe avec ampleur. Si je mettais dans la première ligne de ce blog un point d'interrogation après roman, c'est que des puristes (dont je ne suis pas) peuvent discuter de son appellation. Il s'agit en effet d'une série de sept novellas qui se recouvrent plutôt qu'elles ne se recoupent. Sauf de très discrètes allusions à ce qui aurait pu lier leurs destins, chacun des personnages suit un itinéraire personnel.
Entre 2014 et 2039, l'Europe et les États Unis ont subi une évolution totalement divergente. En Italie, en Grande Bretagne, par exemple, l'infiltration des émigrés musulmans, tolérée par des gouvernements irresponsables portés par une démocratie molle, risque de conduire à l'instauration progressive de la charia. Une guérilla religieuse se développe au sein de ces pays, alliant provisoirement des milices chrétiennes et libertaires afin d'évacuer par les armes l'adversaire de l'intérieur.
Aux USA, Thomas Beveridge, s'appuyant sur le « in god we trust » enraciné dans l'esprit de la population, finit par devenir président en prêchant l'abstention. Solution qu'il préconise pour abattre les pourris de Washington, Sodome et Gomorrhe de la politique. Il instaure un régime biblique depuis la nouvelle capitale, Montgomery, en Alabama. À partir de ces faits, Panchard décrit à petites touches un futur état du monde.
Singulièrement, le premier texte ne semble pas répondre à cette ambition. Il suit l'ascension d'un super ninja humilié dans son enfance par le gardien de son immeuble. Porté par l'esprit ancestral du grand Japon dont il constate la décadence inexorable, Haruki Miyagawa va reconquérir la sanglante dignité des grands samouraïs.
Dans le second, on retrouve Adrian Clayborne, le personnage central de son précédent roman, Forteresse. Lassé de son rôle de responsable de la sécurité de la Haviland corporation, il se choisit un destin individuel. Mais il n'échappera pas aux terribles guerres d'usures que se livrent les grandes multinationales.
Par ces deux novellas, Panchard donne le ton de son œuvre. À l'évidence, sous la pression des religions et des groupes capitalistes mondialisés, les idéaux démocratiques ont failli, les hommes politiques ont trahi.
"Sauve qui peut, la vie", tel est le fil conducteur qui caractérise les cinq textes suivants.
Que ce soit Gianna Caprara, la policière plongée dans la guérilla italienne, Sherylin Leighton, qui s'est réfugié en Angleterre pour fuir la révolution biblique aux USA, Jack Barstow, qui a vécu la lutte contre les conquérants islamistes, John Fuller, le fidèle complice du président Beveridge, Lyndon Mitchell, l'humble citoyen américain, tous ressentiront à leur échelle le profond désespoir qui traverse les sociétés en proie à la perte totale des repères qui fondaient l'ancien monde occidental.
On le voit, Georges Panchard n'est pas de ces écrivains qui spéculent sur un avenir meilleur, passées les épreuves. Heureusement, son esprit conservateur n'empêche pas son talent de s'exprimer. Son sens aigu de la construction par courts chapitres à la chronologie déstructurée, son écriture rapide, imagée, caustique où fusent les idées subversives, l'approche sensible de ses personnages apportent à ses récits un réel plaisir de lecture, même si ses points de vue dérangent.
À l'inverse du très puissant récit-témoignage de Henry Miller, le Cauchemar climatisé, où l'idée maniaque de progrès devient source de détresse morale, son cauchemar désabusé marque les limites d'une civilisation privée d'un essor culturel, qui abandonnerait l'idée de progrès social, économique et scientifique.
Est-ce ma tasse d'athée ? Pas vraiment.
Commentaires
Peut-être me faut-il faire remarquer que je n'ai jamais reçu de manuscrit ni de proposition de Serge Brussolo, Jean-Marc Ligny, Pierre Bordage, Jean-Pierre Hubert et Roland C. Wagner, non plus au demeurant de Claude Ecken, malgré des sollicitations. Reste Francis Berthelot que je pense avoir aidé à améliorer un manuscrit que je n'aimais pas trop, ce dont il m'a donné acte et il l'a publié ailleurs. Jean-Pierre Andrevon m'a proposé un seul manuscrit que je n'ai pas cru devoir retenir et dont la publication très ultérieure n'a pas suscité l'enthousiasme.
Peut-être l'amertume de Philippe Curval, un ami de cinquante ans et plus, mais on sait ce qu'il en est, vient-elle de ce que j'ai répondu publiquement à une question de sa part, que le Livre de Poche ne souhaitait pas reprendre Lothar blues, la décision ne m'appartenant pas puisque, comme je le lui ai dit, je ne signe ni les contrats ni les chèques et que ses livres précédents chez le même éditeur que j'avais fait prendre avaient suscité de lourdes pertes financières.
J'ai accepté, sans regret ni “concéder” quoi que ce soit, Lothar blues dans "Ailleurs et demain". J'ai tout juste demandé à Curval des modifications sur un point mineur de son texte, ce qui me semble relever non seulement des droits mais même des responsabilités d'un directeur de collection.
Lothar blues, et je le regrette, n'a pas trouvé son public, et cela explique aussi la décision de la direction du Livre de Poche.
Je suis heureux par ailleurs que Curval ait apprécié Heptagone.
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