Lee Hae-jun : Naufragé sur la lune
(Castaway on the moon, 2009)
long-métrage
- par ailleurs :
Ils sont vraiment allumés ces nouveaux réalisateurs coréens. Je connais peu de cinéastes européens, américains, capables de visualiser en images ce point de rupture entre réalisme sociologique et fiction spéculative atteint par Lee Hae-jun. Duquel je viens de voir Castaway on the moon (Naufragé sur la lune). Cela fait partie des rares délices offerts par les chaînes du satellite de découvrir, avec un peu de retard car ce film date de 2009, une œuvre aussi insolite.
Déjà, dans l'Île de béton, J.G. Ballard avait traité d'un personnage, victime d'un accident à la périphérie de Londres, qui se trouve abandonné sous les multiples voies d'un réseau autoroutier. Robinson d'un inframonde urbain.
Lee Hae-jun retourne la situation. Un salaryman, asphyxié par les traites impayées, se jette d'un pont gigantesque au-dessus du fleuve séparant deux quartiers de Séoul. Drainé par le courant, il s'échoue sur une île inhabitée (réserve naturelle). De chaque côté, au loin, la ville. Des bateaux touristiques passent, qui l'ignorent. De gigantesques haut-parleurs clament depuis les buildings “exercice de protection civile” pour se préparer à la menace atomique nord-coréenne. La vie s'arrête pendant quelques minutes.
Sur l'île, les déchets les plus incongrus de la civilisation s'accumulent sur le rivage. Dont un gigantesque canard pédalo qui va servir d'abri au survivant.
À partir de là, Lee Hae-jun organise une extraordinaire tragicomédie d'un humour ravageur. Son naufragé urbain tente de se nourrir dans un milieu des plus bizarres, à la fois naturel et pollué. Jusqu'à devenir un Robinson hagard, qui subsistera à force d'obstination comique. À l'opposé du personnage de Ballard qui découvrait, dans les traces bétonnées d'une ancienne rue de village, les souvenirs de sa vie antérieure, les regrets d'un mode de civilisation révolu, celui de Lee Hae-jun perdra peu à peu sa personnalité, jusqu'à la déshumanisation parfaite.
En contrepoint, sur le rivage opposé, une jeune fille s'est cloîtrée dans sa chambre, capharnaüm où elle accumule des centaines d'objets commandés par internet. Dont une caméra équipée d'un téléobjectif ultrapuissant. Observant la Lune, puis l'île, elle découvre le naufragé. Ce ne peut être qu'un extraterrestre !
C'est à travers ce contact que vont se nouer peu à peu d'étranges relations entre deux solitudes issues des convulsions du monde contemporain. Avec un art consommé de l'image, Lee Hae-jun décrit à touches subtiles cette histoire d'amour schizophrène.
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.