James Patrick Kelly : Regarde le soleil
(Look into the sun, 1989)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
J'étais dans un ascenseur immobile, sans porte et sans trappe de sortie. Les parois de métal vert renvoyaient une lumière glauque qui sourdait du sol. De temps à autre, l'appareil grimpait d'un étage ou descendait, puis s'arrêtait. Je frappais de mes poings de tous côtés pour attirer l'attention éventuelle de quelqu'un qui passerait par l'escalier ; puisqu'il y avait des paliers, il devait bien avoir un escalier. Je criais, hurlais, en vain.
C'est alors que je me suis calmé, que j'ai pensé : Peut-être qu'aucun immeuble n'est construit autour ? que je marine dans un conteneur littéraire qui traverse de la cave au plafond un salon du livre quelconque ? À moins que je ne sois dans un blog. C'est ça, dans mon blog où je me suis enfermé dans le silence depuis plusieurs mois.
Et je me suis éveillé.
Sur ma table de nuit, se trouvait Regarde le soleil de James Patrick Kelly. Je venais de l'achever la veille ; il voulait que je parle de lui.
Voilà, en effet, un roman qui doit souffrir, car il n'est pas facile de se le procurer chez un libraire. Plutôt que de nommer “les Moutons électriques” l'éditeur qui l'a publié, j'adopterai volontiers une autre appellation, “les Moutons éclectiques”. Car la transhumance des ouvrages vers les librairies manque singulièrement d'énergie. En somme, cette maison édite des livres pour se faire plaisir. S'il y a des lecteurs, tant mieux, s'il n'y en a pas, tant pis pour eux. Il est vrai qu'en cette époque subsidiaire…
Sans un courriel à André-François Ruaud qui en est le bélier, que je remercie pour avoir choisi ce très beau roman et me l'avoir envoyé, je n'aurais pas eu l'occasion de le tenir entre mes mains. Quel dommage ç'aurait été !
Publié à l'origine en 1989, il s'agit d'un texte superbe dont l'un des sujets principaux est basé sur le thème de “l'avatar”. James Cameron aurait bien fait de s'en inspirer pour écrire le scénario de son film. Je soupçonne qu'il n'aurait pas eu le succès qu'il a connu. Au moins aurions-nous profité d'un chef-d'œuvre du cinéma de Science-Fiction. Ce qui n'est pas le cas.
Passons sur la couverture, aussi prétentieuse qu'indigente ; le livre a un joli format, une belle typographie, c'est déjà ça.
Mais le mieux, comme dans tous les bons romans, c'est le corps du récit qui survit au travail d'un traducteur à l'écriture hasardeuse, tant on a parfois l'impression qu'il ne saisit pas exactement le sens des mots qu'il emploie, sans compter les coquilles. Car James Patrick Kelly est un auteur subtil, dont la pensée est si originale qu'elle triomphe de tous les dangers.
Ne croyez pas qu'il suffise d'avoir des implants performants pour vous transformer en extraterrestre grâce à une technologie d'exception. Même si vous savez tout du monde que vous abordez — malgré vous puisqu'on vous l'a injecté dans le cerveau. Les liaisons entre votre personnalité profonde et celle (modifiée) qui essaye de s'adapter au gré des événements et des rencontres sur une planète étrangère ne sont pas de tout repos.
Philip Wing, un terrien, architecte connu pour son célèbre Nuage de verre, va rapidement s'en apercevoir en débarquant sur Asenesheshesh. D'abord quand il découvre l'aspect des habitants auquel il ressemble désormais, leurs mœurs, leur nourriture, les enjeux politico-religieux d'une complexité inouïe ; surtout lorsqu'il risque d'être la proie de leurs pratiques sexuelles hermaphrodites multiphasées. Aussi Wing, va-t-il tenter de recourir à des interfaces de lui-même pour survivre, afin de construire le mausolée de Teaqua, déesse du peuple Chani, qui lui a été commandé.
Quand vous aurez lu ce petit résumé, ne songez pas un instant que vous aurez compris le sujet de Regarde le soleil. Si le parcours de Wing en terre étrangère, les réactions, érections, qu'il lève chez les Chanis, s'affirme le thème dominant, des surprises inédites vous attendent qui ont rapport avec le goût de l'immortalité, les transmetteurs à tachyon, la colonisation galactique par des êtres supérieurs, le conflit des générations.
Sans jamais perdre de vue l'aspect spéculatif, patascientifique de son récit, Kelly joue avec l'esprit de son lecteur pour susciter chez lui des impressions inconnues, pour lui faire sentir l'Autre, vivre en milieu perturbé, perturbant. C'est un passionné de Science-Fiction ethnologique, comme Wolfe avec la Cinquième tête de Cerbère, comme je l'ai été avec la Face cachée du désir.(1)
Si vous aimez sans concession une SF littéraire, inventive, libérée des contingences commerciales, universitaires (qui semblent aujourd'hui la menacer), n'hésitez pas à regarder le soleil avec James Patrick Kelly.
Vous serez vraiment ébloui.
- « Tu finiras un jour par parler de toi. » m'a pronostiqué Quarante-Deux. Je viens de lui donner raison↑
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