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Ceci dit, il n'y a pas que les réimpressions dans la vie, bien des livres paraissent qui ne trouvent pas ou peu d'échos. Par exemple le dernier roman de Frédéric Delmeulle, In cloud we trust, dont j'avais déjà apprécié la Parallèle Vertov pour sa singularité.
Dans un avenir pas si lointain où sont transposés tous les symptômes alarmants de notre époque, climat détraqué, pollution intensive, où des objets tels que lunettes caméras, cloud généralisé, masques à particules, etc., sont d'un usage courant. Même les chiens robots y sont promenés par des robots.
Par ailleurs, le suicide est devenu une des premières causes de mortalité. Dix millions de défunts par an sans que nul ne s'en inquiète. Parce qu'il existe une solution à la dépression universelle qui guette la population de ces sociétés futures : le “vortex”.
Depuis des années, le groupe Sigwart-Warner et quelques autres concurrents ont développé les parcs à thèmes. Vivez les derniers jours de Pompéi, la charge des éléphants dans les Trois lanciers du Bengale, pénétrez dans le parc à zombies de La Nouvelle-Orléans, partez sur le navire baleinier Discovery, la réalité virtuelle est à votre portée grâce à la RealSim. Sans aucun danger en dehors des émotions, des frissons que ces expériences vous procurent. Or, voici qu'un premier cadavre est découvert, qu'un des joueurs rencontre le roi des morts dans un cimetière, qu'une femme disparaît dans le Victorian revival.
Particularité du roman de Frédéric Delmeulle, celui-ci n'est pas écrit d'une façon linéaire, mais constitué d'une suite de rapports, d'entretiens, de journaux intimes, de relations de conseils d'administration, entrecoupés de chapitres nommés “bruits ambiants” qui ne tiennent pas systématiquement compte de la chronologie. Aussi, par recoupements successifs, apprend-on que la disparue du parc Victorian revival est décédée dans un asile, en France, en 1906. Puis, que le Discovery est découvert, navire pris dans les glaces en 1919 avec son équipage fantôme. Les nouvelles vont vite. Devant le risque d'être projeté dans le passé, une série de parcs à thème sont délaissés par les clients. Le groupe Sigwart-Warner s'inquiète. Fera-t-il faillite ? Et si la solution n'était pas de promouvoir cette perspective, d'offrir un voyage dans le temps à ceux qui n'apprécient guère la civilisation actuelle ? Les déserteurs temporels deviendraient-ils légion ?
Et ça marche !
D'autant que les gouvernements, devant l'encombrement excessif des prisons y voient un habile moyen de se débarrasser des délinquants.
À ce stade, je préfère vous laisser découvrir la suite. En précisant tout de même qu'en réfléchissant à la conclusion — par rapport aux causes de ces disparitions vers le passé —, il est possible d'en déduire que l'Histoire est construite en béton ou qu'elle file un mauvais coton, selon votre choix.
In cloud we trust s'affirme comme un texte plaisant à lire — je dis “plaisant” parce qu'il suscite un réel attrait, non parce que les événements qu'il décrit provoquent du plaisir. Sans réserver de grandes surprises, car ce thème a déjà été largement utilisé dans d'autres romans et que le déroulé du récit, s'il me semble bien structuré, est assez prévisible. Non, le livre de Frédéric Delmeulle vaut pour le talent protéiforme de l'auteur qui sait avec subtilité recréer une atmosphère différente de chapitre en chapitre.
Ainsi, la découverte du Discovery dans les glaces du pôle donne lieu à un récit à la Hermann Melville qui révèle un vrai charme. Sans compter un humour agressif, souvent moraliste, qui s'exprime par des attaques acerbes sur les travers de notre monde contemporain, ou des saillies du type : « Le principal inconvénient des maisons de campagne, c'est qu'elles se trouvent à la campagne. »
. Ou bien : « Ce n'est pas à cause de la disparition des abeilles que le monde périra, ainsi qu'Einstein l'avait prédit, mais par la disparition des consommateurs. »
. C'est donc par son écriture, ses variations de style, sa causticité qu'In cloud we trust vaut la peine d'être lu.
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