Greg Egan : Zendegi
(Zendegi, 2010)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Par ce joli printemps ensoleillé, j'ai failli perdre mon latin en lisant Zendegi. Troublé sans doute par son climat, son ambiance qui diffèrent en grande partie des œuvres précédentes. Malgré tout, j'ai persisté ! Effort récompensé qui m'a permis, après avoir tourné la page 366 et dernière, de prononcer avec un léger soulagement : amo, amas, amat, amamus, amatis, amant Greg Egan.
Dernier paru en France aux éditions du Bélial’, ce onzième titre s'attaque à un domaine complexe que personne n'avait jamais abordé, “l'Iran sentimental Science-Fiction”. Soit un patchwork entre le reportage fantasmé sur l'avenir de l'Iran, les relations père-fils, le jeu de rôle virtuel. Plutôt hard life que hard science, Zendegi marque une nette rupture, par le ton du récit, ses implications philosophiques, avec ce que j'avais lu d'Egan jusqu'ici — c'est-à-dire tout ce qui est paru en français.
On se demande au cours des premiers chapitres s'il s'agit d'une plongée dans la brûlante actualité politique du Moyen-Orient, que ne renierait pas un auteur de littérature générale. En suivant Martin, un journaliste australien qui part en reportage à Téhéran. Pour y vivre, à la suite d'un scandale qui ébranle la société, les derniers jours des mollahs.
Puis on se prend à espérer que le sujet scientifique, incarné par Nasim, une Iranienne vivant aux États-Unis qui décortique les cerveaux d'oiseaux “diamant mandarin” pour obtenir leur cartographie cérébrale, va prendre le dessus.
C'est au début de la seconde partie que, par surprise, nous sommes projetés quinze ans plus tard. Martin s'est marié en Iran libéré avec Mahnoosh, dont il a un enfant, Javeed. Nasim est revenue dans son pays d'origine pour mettre au point un jeu de rôles virtuel, Zendegi, à partir de cerveaux morts ou vivants. Leurs scans servent à produire des “mandatés” qui offriront des protagonistes saisissants de réalisme aux joueurs qui pénétreront dans les univers de fiction que propose la firme qui l'emploie.
Comme à son habitude, Egan sait truffer son roman d'aperçus spéculatifs de haute volée, d'idées surprenantes, de réflexions désabusées sur l'Humanité, la religion, révèle ses goûts en matière de sport et de musique. Mais on le sent, avant tout, préoccupé par le besoin de livrer sa vision personnelle de l'Iran, pays avec lequel il s'est vraisemblablement shooté. En même temps qu'il s'attache à décrire les tourments de Martin, face aux responsabilités qui l'engagent vis-à-vis de son fils, bientôt orphelin, puisqu'il se sait atteint d'un cancer mortel. En se “mandatant” dans Zendegi, grâce à Nasim, pourra-t-il assumer l'éducation de Javeed jusqu'à sa majorité ?
Ce qui donne lieu, bizarrement, à des scènes de Fantasy où le Martin virtuel s'y essaye, en partenaire virtuel de son fils, au cœur d'un jeu moyenâgeux.
On le devine, à trop vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, Egan se perd peu à peu dans les méandres de son roman dont l'architecture se révèle fragile. Fragile, mais sensible au point de donner à Zendegi un caractère très personnel. En particulier à travers le dialogue mental que Nasim et Martin entretiennent avec leurs morts. Équivalents symboliques qui expriment peut-être, dans l'esprit de l'auteur, le fait que tout être humain vit avec ses fantômes, qui sont les sentiers de sa mémoire.
Mais voilà que Zendegi devient blasphème aux yeux des intégristes de tous bords.
Ce qui ajoute un rebondissement plein d'humour à ce roman profus, déconstruit, attachant, qui révèle la part secrète de Greg Egan, son quotient d'humanité.
Pour terminer sur une note optimiste, je pense que le dessin de couverture a été spécialement choisi pour emporter les Razzies de l'année prochaine, catégorie de la plus mauvaise couverture de l'année. Brr ! ce sombre ayatollah me fait encore frémir durant mon sommeil.
Commentaires
Je suis un fan de Greg Egan.
Et j'ai eu le plaisir aussi de pouvoir le recommander à celles et ceux de mes ami(e)s qui ne sont pas fans de SciFi.
Et ce roman est effectivement un peu décalé vis-à-vis de la plupart de ses œuvres parce que la science dure n'occupe pas le premier plan, juste le second.
Pas totalement décalé pourtant, je pense à cette nouvelle "Océanique" publiée sur ce site qui nous parle d'abord de religion.
L'Iran est au premier plan dans Zendegi, et j'ai trouvé ça plutôt sain qu'il le raconte comme il le fait, un peuple et un pays fiers de leur longue histoire et de leurs récits mythiques. Je ne le crois pas « shooté », juste un regard juste, pacifique et curieux et il suffit d'aller sur son site pour y lire son récit de voyage (son premier voyage hors d'Australie) qui l'a aidé à nourrir son intrigue.
Et pour le volet science, il n'y a pas que les fanatiques religieux que l'idée de créer des êtres virtuels évolutifs dérange gravement ; il y a aussi ceux qui n'apprécient que peu la perspective de mettre des centaines de milliers de gens au chômage. Une vraie question de société.
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