Éternité + FX
De mon enfance, je ne conserve que les souvenirs racontés par mes parents. En ce qui concerne mon histoire, rien. Par contre, il subsiste en moi bien des sensations de cette époque, même une vraie révélation : ma première rencontre avec l'affiche de la Vache qui rit, celle qui m'a fait comprendre la notion d'infini à travers les boucles d'oreilles en forme de boîte représentant la même vache portant des boucles d'oreilles en forme de boîtes, ceci jusqu'au moment où le dessinateur ne possédant pas de pinceau plus fin qu'un pixel de l'époque ne pouvait plus la représenter.
Au-delà se perdait l'image invisible, indéfiniment répétée. Je pouvais me la représenter en imagination jusqu'à ce que le sommeil me prenne. Rien n'est plus agréable que de s'endormir vers l'infini.
Vous me direz, cette découverte est commune à bien des gens.
Par contre, des années plus tard, je suis parvenu à me représenter l'éternité d'une façon plus étrange. Lors d'un voyage au Mexique, je me suis retrouvé avec le nez bouché après un rhume. Le pharmacien de Cuernavaca m'a donné l'équivalent local d'un tube Vicks. Ce mélange d'eucalyptus et de menthe qui vous remonte jusqu'aux sinus avec la force d'une décharge électrique.
Eh bien, ce tube, je le possède encore cinquante ans plus tard ; son effet est aussi puissant. Je sais qu'il durera toujours.
À partir de ces deux révélations, mon destin a changé. Car j'ai compris que l'infini comme l'éternité sont en réalité des demi-droites dont le point de départ initial se situe à l'instant, à l'endroit où chacun les perçoit pour la première fois.
L'infini et l'éternité sont donc des concepts personnels.
Associant cette idée à une réflexion sur le fait qu'il n'y a pas d'infini sans éternité, puisque si le temps s'arrête, on n'avance plus. De même qu'il n'y a pas d'éternité sans infini : en admettant qu'il soit possible de rester sur place dans une immobilité absolue, l'espace se résorberait faute d'avoir un but dans l'existence.
De là à imaginer une affiche de la Vache qui rit avec un bâton Vicks dans le nez pour expliquer l'univers, il n'y a qu'un pas. Que je n'oserai franchir.
Quel rapport avec la Science-Fiction ? C'est très simple. Depuis quelques années, il existe en France une chaîne spécialisée sur le câble et le satellite, importée d'ailleurs, Ciné FX, qui combine de façon lumineuse les principes inextricablement imbriqués d'infini et d'éternité.
En effet, après un commencement très intéressant, notamment la projection de films de SF américains des années 50/60 que nous n'avions pas eu l'occasion de revoir depuis longtemps. Tels le très subtil, émouvant, the Man from planet X et Beyond the time barrier qui n'est passé qu'une fois, tous deux d'Edgar G. Ulmer. Une version rare de Je suis une légende avec Vincent Price, l'excellent Donovan's brain de Felix E. Feist, etc.
Ou bien, pour les amateurs sophistiqués de navets immortels, deux chefs-d'œuvre de l'immense Ed Wood, la Fiancée du monstre (que j'attendais depuis longtemps pour voir Bela Lugosi s'enrouler dans une pieuvre en plastique) et la Nuit des revenants, d'une envoûtante obscurité.
Mieux, le délicieusement abominable the Angry red planet de 1959, par Ib Melchior, réalisé seulement en 10 jours avec une technique CineMagic pour toutes les scènes sur la surface de Mars dessinée et coloriée en rouge (qui servira plus tard pour les Trois Stooge). Ou l'atroce Mars needs women de Larry Buchanan, d'un érotisme interplanétaire fulgurant.
Je n'en finirai pas d'énumérer ces films en V.O., pour la plupart. Sans compter une rareté, un téléfilm français d'après le Navire étoile d'E.C. Tubb, avec Dirk Sanders dans le rôle principal. D'un austère noir et blanc et d'une économie de moyens ORTF Buttes-Chaumont qui vise à transformer un navire opéra en pièce de Samuel Beckett. Et l'amusant Voyageur des siècles de Noël-Noël.
Depuis, plus rien.
Ou plutôt si, une programmation qui permet de voir le Futur aux trousses et Aelita quatre fois par semaine, sans compter une foule de films d'épouvante bas de gamme, toujours les mêmes. Répétition qui s'accompagne d'une projection baveuse à peine visible sur un écran de 20 cm. Même pour les films récents comme l'intrigant Simple mortel de Pierre Jolivet. Ils doivent utiliser une râpe à DVD.
Que s'est-il passé ? Ciné FX vient d'inventer l'éternité en boucle.
P.S. : ah ! j'oubliais, cette semaine vient de commencer la projection d'un téléfilm de la pire espèce, Noires sont les galaxies. Qu'on pourrait renommer l'Ennui des morts vivants. Scénario nul de Jacques Armand, dialogues sans voix, décors bâclés, réalisation de Daniel Moosmann typique de l'exception française avec ouverture/fermeture de portes, montées/descentes de voiture, plans fixes interminables qui permettent d'étaler sur quatre heures une histoire qui ne mériterait pas vingt minutes.
Le début est saisissant. On voit des lumières passer sur un pont, se refléter dans l'eau. Puis un homme en voiture se pose un masque amateur de plongée sur le nez. Impossible de savoir ce qui se passe ensuite tant l'image est sombre. Vers la fin du second épisode une jeune femme soi-disant nue dans une piscine tente de convaincre un idiot congénital qu'elle vient d'une autre planète. Un plan d'une durée phénoménale et d'une bêtise infinie. Le reste à l'avenant.
Ne craignez pas de le manquer, il passe pratiquement tous les jours.
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