Identité post-mortem
Il y a quelques semaines, un certain Robert Dupont a été enterré par mégarde. Il fallait voir sa tête, en ressuscitant sous la pelle des fossoyeurs, grâce à son appel sur le téléphone portable chéri qu'on avait placé dans son cercueil. D'où la publicité qu'on pourrait en tirer : Ne partez jamais au cimetière sans SFR. Voici sa déclaration spontanée : « Je suis bien content d'être encore en vie, mais pas tellement d'être mort ; enfin, le principal, c'est que ça fait plaisir à maman. »
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S'il s'agit dans ce cas d'une erreur d'aiguillage des médecins légistes et des pompes funèbres associés, il se produit d'autres erreurs plus stimulantes. Ainsi, la police et les autorités du treizième arrondissement de Paris s'inquiètent depuis quelques années de la baisse extraordinaire du taux de mortalité dans la population asiatique. Il est quasiment nul. Les Chinois, les Vietnamiens, les Cambodgiens ne meurent plus, du moins statistiquement, ou légalement, comme vous voudrez. Remarquez, c'est justice que les rescapés de la guerre de Corée ou du Việt Nam aient des compensations.
Officieusement, certains pensent qu'il s'agit d'un trafic de cadavres. L'idée n'est pas neuve et les marchands de voitures d'occasion ne se privent pas de racheter des cartes grises à la casse pour les attribuer à des véhicules volés. De la même manière, quand un défunt abandonne sa carte d'identité, quoi de plus évident que de l'attribuer à l'un de ceux qui n'en possèdent pas et qui, de ce fait, acquièrent le droit de vivre parce qu'ils détiennent un document qui le leur autorise. C'est une forme d'immortalité extrêmement originale qui pourrait être brevetée.
Imaginez qu'en France, au lieu d'enterrer ou d'incinérer bêtement nos cadavres, comme la tradition nous y oblige, nous les fassions disparaître sans laisser d'adresse ; nous parviendrions bientôt à une population extrêmement stable et sur laquelle nous pourrions compter. Puisqu'il y a encore trop de naissances dans le monde et qu'il faut nourrir, éduquer, trouver des emplois à tous ces nouveaux citoyens dont l'avenir correspond rarement à l'idée qu'en auront eue leurs parents.
En partant du principe asiatique de remplacement des ancêtres défaillants par de nouveaux immigrés non déclarés, mais parfaitement avides de s'adapter à la société qui les reconnaît, nous en aurions rapidement fini avec des conflits dérisoires comme le meurtre symbolique du père, la contestation chez les jeunes, la retraite anticipée, le versement des primes d'assurance après décès et surtout du problème des sans-papiers.
Toutes ces choses ne demandent qu'un peu de bonne volonté et de compréhension mutuelle. Mais si nous nous y mettons avec un peu d'ardeur, après une ou deux générations, nous serons devenus tous immortels. Qu'importe après tout de changer quelquefois de corps et de visage, si nous conservons éternellement le même nom.
Commentaires
Bon, d'accord pour le devenir des papiers, mais où passent les cadavres ? Bouchées vapeur ou nems à la viande ?
Il importe si bien que cela friserait l'idolâtrie (qui voudrait vivre éternellement sans être libre).
Eh bien quelle histoire !
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