Baudolino aborde l'île du jour d'avant
On se demande pourquoi l'amateur de Science-Fiction est toujours attiré par les textes d'Umberto Eco. On ne peut guère affirmer que le Nom de la rose en relève, ni le Pendule de Foucault, ni aucun des deux suivants. Mais si l'on en croit Pierre Lepape en page 74 du Magazine littéraire d'avril 2005, c'est sans doute parce qu'ils sont spéculatifs…
Le mot est lâché comme ça, en passant, dans la critique du cinquième, la Mystérieuse flamme de la reine Loana. Admettons sans chercher à comprendre ni avoir recours aux subjectivités collectives. C'est sans doute la même essence incernable mais manifestement discernable qui fait paraître le Cryptonomicon dans une collection de SF, avec reprise en poche dans les mêmes conditions pour entériner le délit.
Mais si la spéculation est une entité floue que l'on s'étonne sans plus à voir utiliser hors du genre, la notion de space op’ semblait nous appartenir entièrement. Ce n'est manifestement plus le cas. On apprend en effet en dernier paragraphe du même compte rendu de lecture, que la Mystérieuse flamme « s'achève par un hommage aux pouvoirs de la fiction en forme de space opera, une sorte de ballet magnifique et mortuaire où les personnages de papier se confondent avec les personnages réels. »
.
Si l'on comprend bien, donc, ce qui est en substance l'histoire d'un amnésique qui reconstruit sa mémoire au travers des imprimés qui ont croisé sa vie, lors de son enfance ou du fait de son état de libraire en livres anciens, activité au demeurant fort sympathique, se termine ainsi : revenu à lui-même, il apprend qu'il a été exilé dans le passé et dans l'oubli par un ennemi de la fédération, qu'il est en fait le prince héritier de l'empire ; il monte alors dans son vaisseau chronospatial miraculeusement recouvré pour aller sauver la galaxie.
À moins que cela soit autre chose, mais quoi ?
Commentaires
Tu ne crois pas si bien dire en parlant des rapports entre Umberto Eco et la sf. J'ai eu l'idée de la nouvelle "Avant Champollion" en arrivant à la fin du Nom de la rose et à la fameuse citation (Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus) qui veut dire (je cite Eco lui même dans l'apostille au Nom de la rose) que même si toutes choses disparaissent, il nous reste d'elles de purs noms.
Mais non, me suis-je dit. Les noms ne sont pas purs. Les signifiants n'existent pas sans les signifiés : la preuve, si les circonstances matérielles font disparaître le signifé, le signifiant peut perdre tout sens. D'où cette histoire de planète à saisons très longues où les gens ont oublié ce qu'est l'hiver.
Et le rapport entre Eco et la sf, c'est, je crois, un certain goût pour l'abstraction, les idées, ou la perception du monde grâce à des théories, des sciences, des concepts, etc.
Rapport au monde que seule la sf, littérature d'abstraction, de spéculation et d'idées, exprime et explore. Youpi.
J'ai constaté depuis qu'Eco (Ex Celis Oblatus) n'hésite d'ailleurs pas à faire explicitement et publiquement référence à la SF en dehors de ses fictions. Ainsi, en page 97 du Magazine littéraire de décembre 2003, à propos du rapport coupable entre lecteur et auteur : selon lui, après que le personnage d'un roman est arrivé à Paris, le lecteur déballe son enclyclopédie interne et sait que la Tour Eiffel n'est pas loin sans que l'auteur ait besoin de le lui rappeler, sauf s'il lui est immédiatement précisé qu'on visite à cette occasion Big Ben, élément SF qui remet tout en question…
à lire avec des bisous
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.