Vernor Vinge : Across realtime
recueil de Science-Fiction en partie inédit en français, 1991
- par ailleurs :
J'ai enfin lu le Cycle de la Temporalité de Vernor Vinge. Il s'agit d'un roman, the Peace war (1984), non traduit, suivi d'une nouvelle, "the Ungoverned" (1985), puis d'un second roman, Marooned in realtime (1986), traduit sous le titre de la Captive du temps perdu.
L'idée centrale est la découverte des “bulles”, sortes de champ de force sphérique totalement impénétrable qui permettent d'isoler une zone du reste de l'univers. Mais l'auteur explore aussi les conséquences des traitements qui maintiennent plus ou moins indéfiniment le corps à un âge apparent donné, les implications de l'accès permanent et plus ou moins direct à des bases de connaissances immenses, et les divers modes de gouvernement (ou d'anarchie) qui peuvent découler de tout ça.
Dans le premier roman, les savants et ingénieurs qui, dans les années 1990, ont mis au point les bulles décident de s'en servir pour éliminer les guerres en encapsulant tous les sites gouvernementaux et militaires, responsables évidents des guerres qui n'en finissent pas. Dans les années qui suivent, une bonne partie de la population mondiale est anéantie par des épidémies, dont certains pensent qu'elles ont été volontairement provoquées. Le monde se retrouve alors dirigé par une entité dictatoriale, l'Autorité de la paix, qui tient à maintenir l'humanité dans un état qui ressemble par certains côtés au xixe siècle. Pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets, du moins de leur point de vue, les Pacifieurs interdisent toute technologie qui nécessite des moyens énergétiques importants (par exemple, les véhicules et autres machines à moteurs) et toute biotechnologie. Par contre, les petites applications électroniques, perçues comme inoffensives, ne sont pas réprimées. Un groupe de dissidents travaille dans l'ombre pour renverser cette dictature de la paix. Et leur chef n'est autre que celui qui a été à l'origine de la technologie de la bulle et qui n'a guère apprécié l'application qui en a été faite.
L'auteur explore avec brio les implications des avancées technologiques tout en racontant une histoire palpitante, avec espions, agents doubles, et héros bizarres et attachants. J'ai surtout été frappée par l'aspect visionnaire de ce texte en ce qui concerne l'évolution de l'informatique et de l'interaction homme-machine.
La nouvelle "the Ungoverned" raconte un épisode qui se passe quelques dizaines d'années plus tard, dans un monde livré à l'anarchie où de petits états-nations essaient de reprendre le dessus et de recréer les grands gouvernements d'antan. Cette nouvelle qu'on trouve isolée dans une ou deux anthologies et recueils (non traduits) se comprend, et surtout, s'apprécie difficilement si on n'a pas lu le roman avant. On y rencontre Wil Brierson, flic du xxie siècle, qui essaye de faire son boulot tout en évitant des tueries inutiles.
Le deuxième roman, seule partie du cycle qui soit traduite, se situe cinquante millions d'années plus tard. Mais pour certains des protagonistes, il ne s'est passé aucun temps… depuis leur mise en stase dans une bulle puisque, à l'intérieur, le temps s'arrête. Les personnages sont originaires de périodes diverses, de la fin du xxe jusqu'au milieu du xxiiie siècle. Pas au-delà car, pour des raisons inconnues, dans le courant du xxiiie siècle, tous les humains ont disparu de la surface de la Terre. Les seuls qui restent sont ceux qui, pour une raison ou une autre, n'étaient pas présents au moment fatidique. Les circonstances de la disparition restent, de ce fait, mystérieuses, mais les hypothèses ne manquent pas, et selon que les gens adhèrent à l'une ou l'autre, ils auront une vision bien différente de ce qu'il convient de faire pour l'avenir.
Faut-il rester ensemble dans cet endroit pour essayer de maintenir l'espèce et reconstruire la civilisation ? Il y a là trois cents êtres humains, tout juste assez pour tenir, sous réserve de travailler dur et de se reproduire frénétiquement. Où vaut-il mieux abandonner et partir en touriste vers la fin des temps ? Car ces fameuses bulles, qui servent à bien des choses (se protéger d'un danger imminent, se débarrasser d'un ou plusieurs individus gênants, empêcher l'accès à quelque chose, et même à se propulser dans l'espace) sont en fait des machines à voyager dans le temps, à sens unique. Et c'est bien cette idée, très science-fictive, avec toutes ses implications, qui est explorée ici.
Je n'ai pas pu m'empêcher de faire un rapprochement avec le roman de Stephen Baxter Origin, que j'ai lu il y a peu. Dans les deux, une femme, dégourdie certes, mais pas particulièrement préparée à ça, se trouve propulsée toute seule dans un lieu sauvage où elle doit se débrouiller pour survivre sans l'aide de toute la technologie dont elle a l'habitude.
Ce deuxième roman est construit un peu comme un thriller, autour d'une enquête sur un meurtre bien particulier, et c'est Wil Brierson, rencontré dans la nouvelle, qui en est chargé. On retrouve quelques autres personnages du roman et de la nouvelle qui précèdent, et c'est pourquoi je trouve bien dommage que l'éditeur de la traduction ait fait un choix que je qualifierais d'un peu bizarre. Bien qu'il soit tout à fait possible de le lire de façon indépendante, je pense qu'on y perd quand même quelque chose au niveau de la profondeur des personnages, de leurs motivations et de la compréhension générale de la société décrite.
Pour ceux qui lisent en VO, on trouve très aisément sur l'internet les trois textes réunis par Baen en 1991 dans un seul volume sous le titre Across realtime (les autres éditions n'ont pas l'air de contenir la nouvelle).
Commentaires
La Captive du temps perdu est un excellent roman. Je prends plaisir à le relire actuellement. J'ignorais qu'il faisait partie d'un cycle et je trouve, effectivement, que c'est dommage que la totalité du cycle n'ait pas été traduite.
Reste la VO mais ça risque d'être trop fort pour moi…
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