David Marusek : Counting heads
roman de Science-Fiction, 2005
traduction française en 2008 : un Paradis d'enfer
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David Marusek a écrit une poignée de nouvelles remarquables, dont deux seulement ont été traduites à ma connaissance : "Getting to know you" et "We were out of our minds with joy".(1) La première partie de son premier roman Counting heads, reprend cette dernière sous une forme modifiée.
Le xxie siècle n'a pas été rose et, vers sa fin, le monde est bien différent du nôtre. Des attentats terroristes avec des armes nanotechnologiques ont tué des millions de personnes et ont conduit les grandes villes à se protéger sous une sorte de chapiteau anti nanoparticules. La sécurité nationale est assurée, entre autres, par des limaces artificielles qui circulent en permanence et qui viennent régulièrement “goûter” les citoyens pour vérifier leur identité. Les intelligences artificielles, du simple assistant ponctuel jusqu'à l'état-major au complet, sont omniprésentes. Les travaux ingrats sont réalisés par des robots, les arbeitors, et les postes plus complexes sont dévolus à des humains spécialisés sous forme de clones. Les infirmières, par exemple, sont toutes des jennys, et les agents de sécurité sont tous des russ, du nom de l'homme — un garde du corps à la loyauté héroïque — dont les cellules ont servi à créer la lignée. C'est une société “post-consommation” car tous les objets peuvent être fabriqués aisément grâce à la nanotechnologie. Mais ce n'est pas du tout un monde égalitaire : les puissants vivent dans l'opulence et bénéficient d'une jeunesse éternellement renouvelée, par contre le niveau de vie des diverses familles de clones varie selon que leurs services sont utiles ou à la mode ou pas. Le reste de la population se débrouille comme elle peut, souvent en se regroupant en communautés et en mettant en commun les ressources de tous les membres.
L'histoire principale est celle de Samson Harger, artiste très en vue, spécialiste des emballages en tous genres (le papier qui crie quand on le déchire, la couverture qui moule le blessé et le protège complètement pendant le transport) et son épouse Eleanor Starke, femme d'affaires de premier plan et étoile montante de la société tant financière que politique. C'est le bonheur et, cerise sur le gâteau, le couple se voit attribuer — privilège rare — un permis pour avoir un enfant, et sans même l'avoir demandé. Mais tout est remis en question quand Sam est victime d'une confusion d'identité. Il est pris pour un dangereux terroriste, arrêté, emprisonné et relâché après avoir subi une altération profonde de ses cellules qui font qu'il va se mettre à vieillir irrémédiablement, qu'il est physiquement fragile et qu'en plus, son corps émet en permanence une odeur nauséabonde quasi impossible à masquer. Rapidement, il se retrouve plus ou moins en exil et Eleanor va mener sa vie avec l'enfant qu'elle aura malgré tout, une fille nommée Ellen. Un de ses grands projets est Garden Earth (le Jardin Terre). L'idée est d'envoyer des millions d'humains volontaires coloniser des planètes habitables dans d'autres systèmes. Chacun recevra mille hectares pour chaque hectare terrien qu'il donnera en échange. Tout ça pour refaire de la Terre un jardin édénique. Mais, alors qu'elle est au sommet de sa carrière et de son pouvoir, ses ennemis réussissent à saboter sa fusée personnelle. Elle meurt et Ellen, décapitée, survit dans le coma sous forme d'une tête en attente d'un corps de rechange, mais malheureusement tombée aux mains de gens qui ne lui veulent pas que du bien. À partir de là, on suit les méandres multiples pour tenter de sauver et libérer Ellen, et peut-être de poursuivre le projet d'Eleanor.
Deux autres fils narratifs sont développés en parallèle. L'un concerne le groupe qui a accueilli Sam le puant. Dans cette petite famille, on côtoie surtout Bogdan et Kitty dont le corps est maintenu artificiellement à un âge prépubère. Ce sont donc des enfants en apparence, mais pas en esprit. L'autre nous montre la vie des clones au travers du couple Fred et Mary. Lui, un russ, chargé de missions délicates de maintien de l'ordre, et elle, évangéline, sorte de dame de compagnie dotée d'une sensibilité extrême et d'une capacité d'empathie hors du commun. Dans les deux cas, on suit les personnages — très bien décrits, vivants et sympathiques — dans leur vie de tous les jours. Sans oublier les intelligences artificielles, très présentes, diverses, et qui participent largement à l'action, avec parfois des motivations qui leur sont propres. Et c'est là que le roman est plus que remarquable. Tous les détails de cette société future sont étudiés de façon très convaincante avec une complexité, une richesse, une inventivité d'un niveau exceptionnel. Un tour de force rarement égalé.
Trop souvent, le monde dans cent ans, voir plus, est à peine différent du nôtre sur de nombreux plans. (Dans mille ans, en informatique, il faudrait encore taper sur F1 pour avoir l'Aide… Sans rire. Je l'ai vu.) Pas de ça chez Marusek, même si force est de constater que la plupart de ses textes jusqu'à présent se situent dans le même univers. Il a donc eu le temps de le peaufiner.
D'ailleurs, le roman sur lequel il travaille actuellement est la suite du premier. Souvent, apprendre ça me chagrine plutôt, mais pas cette fois-ci. D'une part la matière est tellement riche qu'il y a largement de quoi y ajouter un ou deux volumes. Mais aussi parce que la fin m'a paru un peu expédiée. Le dénouement est palpitant à souhait mais, une fois la dernière page tournée, trop de questions restent en suspens. S'arrêter là n'aurait pas été satisfaisant du tout. Donc, j'attends la suite, probablement pour fin 2008. Et je ne serai pas trop surprise si je décidais de relire Counting heads avant d'entreprendre le deuxième. C'est dire que c'est quelque chose.
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