Paul Melko : Singularity's ring
roman de Science-Fiction inédit en français, 2008
- par ailleurs :
Singularity's ring, premier roman (non traduit pour l'instant) de Paul Melko, met en scène une “post-Humanité” qui a survécu à la “singularité” et qui cherche à remettre la Terre et la civilisation en état. La singularité a pris la forme d'une “Communauté” composée de la grande majorité des humains qui se sont volontairement branchés (physiquement, par l'intermédiaire d'une prise posée à la base du crâne) sur une intelligence artificielle. Cette union entre la machine et l'homme avait permis une accélération exponentielle des avancés scientifiques et technologiques, aboutissant à la capacité de manipuler la structure de l'univers et d'ouvrir le Rift, juste au-delà de l'orbite de Neptune. Et aussi à la construction d'un gigantesque anneau en orbite géostationnaire autour de la Terre, au niveau de l'équateur, avec des ascenseurs répartis un peu partout pour y accéder.
Un jour, la “Communauté” a disparu. Elle aurait traversé le Rift et serait partie quelque part très loin dans l'espace, laissant ce qui reste de l'Humanité se débrouiller avec une situation politique bancale et cet anneau, vide et inaccessible, mais qui au moins fournit de l'énergie solaire à la Terre. Après plusieurs dizaines d'années, la société restante est composée essentiellement de personnes génétiquement modifiées qui vivent par groupes de deux à cinq. Ces groupes (dénommés pod, littéralement cosse, ou cluster : amas, grappe) sont en fait des entités uniques composées de plusieurs personnes, avec un nom et prénom commun, chacune apportant des capacités et des caractéristiques particulières à l'ensemble. C'est véritablement cette trouvaille qui fait tout le charme du roman. Les éléments de chaque groupe, très complémentaires, tissent des liens profonds depuis la naissance, voire avant, communiquent entre eux de façon quasi télépathique par émission de phéromones, et sont, à plusieurs, plus que la somme de leurs parties. Isolés, ils sont impuissants et malheureux, certains deviennent même quasi psychotiques. C'est tout à fait amusant de découvrir les implications de ce mode de vie. Quand un groupe (une personne en fait) doit prendre une décision, ses parties se mettent en rond en se tenant les mains et arrivent ainsi à un “consensus” valable ; quand l'un parle à une personne extérieure au groupe, elle dit “moi” ou “je” en se référant à l'ensemble et non à elle-même toute seule ; croiser un groupe et passer au milieu — au travers de quelqu'un en quelque sorte — est une grave impolitesse.
Il existe aussi des “singletons”, humains qui vivent seuls (comme nous) dans des enclaves spéciales. La plupart se retrouvent dans cette situation du fait du ratage de la phase de coalescence du groupe dans l'enfance, ou à la suite de la destruction d'un groupe pour une raison ou une autre. Un seul d'entre eux, Malcolm Leto, est un ancien membre de la Communauté qui s'est retrouvé abandonné sur Terre lors de l'Exode de l'Humanité. Le voici donc avec des idées de revanche et de construction d'une deuxième communauté, à l'image de la première, mais sous son contrôle.
On suit le jeune Apollo Papadopulos, quintet composé de Strom (la force), Manuel (la dextérité), Meda (la communication), Moira (l'éthique) et Quant (la science et les mathématiques). Les premiers chapitres sont racontés successivement du point de vue de chacun des membres, et on apprend ainsi à les connaître et à comprendre leur fonctionnement. J'ai eu un peu de mal cependant car, dans ces épisodes écrits à la première personne, la “voix” n'était pas assez typée ou différenciée et il fallait sans arrêt que je fasse attention pour savoir dans la tête de qui j'étais censée être. Ce n'était là qu'un problème mineur et il a disparu lorsque le point de vue est devenu celui de l'entité multiple.
Apollo subit une formation depuis l'enfance, avec quelques autres comme lui, pour devenir pilote de l'unique vaisseau spatial en construction depuis des années. Un seul d'entre eux partira, au terme de multiples épreuves, explorer l'espace à la recherche de la Communauté, ou du moins du chemin par lequel elle serait passée. Le roman commence alors que les groupes de pilotes en herbe sont largués dans la nature au milieu des montagnes Rocheuses à titre d'entraînement et de test. Mais les choses tournent rapidement mal, et ils échappent de justesse à la catastrophe. Les complications s'accumulent et il devient vite évident que quelqu'un cherche à détruire Apollo. Il va donc se rebeller contre l'autorité en laquelle il n'a plus confiance, et partir à l'aventure, sans avoir véritablement de projet précis autre que de survivre et de rester uni(s). Le périple va le mener jusqu'à l'anneau mystérieux, à travers l'Amazonie, en Afrique, et de nouveau dans l'anneau qui s'avérera n'être pas tout à fait ce qu'on croyait.
La singularité, l'intelligence artificielle, les modifications génétiques, les individus multiples, voilà d'excellents ingrédients pour un bon roman de SF. J'ai cependant trouvé que l'auteur n'explorait pas à fond les possibilités de ses prémisses. Et j'avoue ne pas avoir bien compris tous les tenants et aboutissants de l'intrigue, en particulier les motivations de certains personnages et les machinations plus ou moins politiques qui sous-tendent certains événements. Les deux premiers chapitres ont paru précédemment en tant que nouvelles, et c'est bien l'impression que donne la première moitié du roman : une juxtaposition de textes indépendants qui n'arrivent pas tout à fait à former un ensemble cohérent et bien ficelé. De nombreuses pistes sont ouvertes et laissées plus ou moins en plan, le fonctionnement de ce monde n'apparaît jamais de façon très précise, et j'ai même parfois eu du mal à discerner les bons des méchants — ce qui n'est pas nécessairement négatif. Par contre, la construction des personnages est pleinement satisfaisante et constitue certainement l'intérêt principal. Le tout ne fait qu'à peine plus de trois cents pages, et le problème est peut-être là. Il en aurait fallu au moins le double pour pouvoir explorer un peu mieux cet univers et construire une intrigue plus solide.
Il n'en reste pas moins que je ne me suis pas ennuyée un instant et que j'ai eu plaisir à passer un moment avec Apollo, entité multiple crédible et sympathique que seule la SF peut nous offrir.
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