Jack McDevitt : the Devil's eye
roman de Science-Fiction inédit en français, 2008
- par ailleurs :
McDevitt poursuit ici une de ses deux séries, avec le quatrième épisode des aventures d'Alex Benedict, antiquaire, archéologue, aventurier, et de son assistante, Chase Kolpath, charmante jeune femme, pilote de vaisseau supraluminique de son état. J'avais bien aimé les trois précédents, a Talent for war, Polaris et Seeker, qui, sans être des chefs-d'œuvre inoubliables, sont des textes de SF distrayants et sans prétention.
L'histoire de the Devil's eye commence lorsqu'Alex, de retour sur son vaisseau après des vacances passées à Atlantis, prend connaissance d'un message peu explicite que lui a laissé Vicki Greene, romancière célèbre, spécialiste des récits d'horreur et de fantastique. Elle paraît toute retournée, dépassée par les événements, et lui demande son aide, sans aucune précision. Le message se termine par « Mon dieu, ils sont tous morts. ». Alex n'a aucune raison de donner suite, mais quand il découvre qu'elle lui a viré, sans explication, une très forte somme d'argent, il se sent obligé d'aller plus loin. Greene est cependant introuvable et Alex apprend, par le frère de celle-ci, qu'elle s'est fait faire une “extraction mnémonique”, c'est-à-dire un effacement total de la mémoire, ce qui revient en quelque sorte à un suicide, le tout étant parfaitement légal et admis. Le corps vit toujours et, après un traitement adéquat, poursuit son existence sur une nouvelle route, avec une histoire et une personnalité différentes, et tout est fait pour que personne de la vie précédente ne puisse retrouver sa trace. D'ailleurs, sa famille organise une cérémonie qui a tout d'un enterrement, malgré l'absence de cercueil.
Donc, Alex et Chase vont partir à la recherche de la raison qui a pu pousser Vicki Greene à cette extrémité. Ils apprennent qu'elle avait subi, contre sa volonté, un “bloc linéal”, procédé en principe médical utilisé uniquement pour traiter des maladies mentales sévères, qui consiste à isoler un ensemble de souvenirs de telle manière à ce que le patient ne puisse plus agir sous leur impulsion. Le résultat est que le souvenir est toujours présent, mais la personne ne peut même plus en parler. C'est cette situation qui a apparemment abouti à ce que Greene préfère le suicide psychologique plutôt que de garder la mémoire de quelque chose et de ne rien pouvoir faire à son propos.
Pour comprendre ce qui a bien pu se passer, ils vont retracer les pas de la romancière pendant son dernier périple, à Salud Afar, planète dans un système très isolé tout au bord de la galaxie, à plus de trente mille années-lumière, donc à un mois de voyage de l'endroit où habite Alex. Ils pensent qu'elle a certainement dû découvrir quelque chose que certains voulaient garder secret, et que ça a mal tourné. Pendant cette quête, on va visiter divers coins touristiques sur Salud Afar — tous plus ou moins orientés vers des légendes empreintes de fantastique ou d'horreur, avec des mises en scène à la Disney —, on va également apprendre plein de choses sur sa longue histoire pas toujours très rose. Après moult péripéties, et quelques épisodes où il apparaît clairement que quelqu'un en veut à leur peau, ou du moins cherche à leur faire comprendre qu'ils feraient mieux de cesser de se mêler de ce qui ne les regarde pas, Chase découvre enfin le secret sur lequel Vicki Greene était manifestement tombée elle aussi.
Le mystère est donc éclairci, et nous ne sommes qu'à la page 210, sur 359… Car il se trouve que c'est en réalité un roman à tiroirs, et la deuxième partie est, pour moi, la plus substantielle, au sens propre. Salud Afar, monde comprenant plusieurs milliards d'habitants, est manifestement en danger de mort ; il n'a en fait plus que trois ans à vivre. Il serait possible de sauver une grande partie de la population, peut-être la planète elle-même, sous réserve que les politiciens arrivent à dépasser leurs petites querelles intestines, et que la guerre larvée avec les Ashiyyurs, extraterrestres déjà rencontrés dans les épisodes précédents, soit mise en veilleuse par les deux côtés, du moins temporairement. Pour ça, il faut obtenir un accord bilatéral de cesser le feu, ce qui n'est guère commode. Car les Humains et les Ashiyyurs (êtres de grande taille à l'aspect un peu insectoïde) se trouvent mutuellement abominablement répugnants, chacun ressentant une répulsion véritablement physique en présence de l'autre. De plus, les Ashiyyurs, qui ne communiquent entre eux que par télépathie, lisent avec tout autant d'aisance dans la tête des Humains, qu'ils considèrent d'ailleurs comme une espèce inférieure. Ce qui ne facilite pas la confiance mutuelle et les bonnes relations diplomatiques.
Alex et Chase, qui ont déjà rencontré les extraterrestres en question et qui se sont même liés d'amitié avec certains d'entre eux, sont envoyés là-bas en ambassadeurs pour essayer d'obtenir un accord de cesser le feu, prélude possible à une paix plus durable. C'est l'occasion d'explorer les implications personnelles et politiques d'une société où il n'y a pas de secrets, où les pensées de tous sont en permanence étalées au grand jour. Pour les Humains qui ont l'habitude d'être seuls et bien isolés dans leur tête, c'est une expérience difficile et déroutante, et les règles de la politesse et de la diplomatie sont nécessairement remises en question. Avec les Ashiyyurs, c'est plutôt la sincérité qui paie, à condition que les sentiments effectifs soient les bons. Heureusement, Chase, candide, empathique et généreuse est à la hauteur. De même, McDevitt étudie les conséquences d'une répulsion viscérale engendrée par l'autre et les possibilités de la surmonter. Ces deux aspects étaient, pour moi, les parties les plus intéressantes du roman, et de loin.
Les derniers chapitres comportent encore un tiroir en quelque sorte, mais je le voyais quand même venir de loin. Je n'en dis pas plus, comme ci-dessus à propos du secret, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur éventuel…
La fin, du moins pour l'aspect “planétaire”, est un peu rapide et on ne voit pas grand-chose du dénouement qui est présenté en quelques lignes.
Au total, un roman typique de McDevitt, avec de l'aventure, quelques personnages sympathiques, un peu de réflexion, mais tout de même quelques faiblesses. En particulier, la première partie est un peu trop longue à mon goût — le tourisme planétaire, ce n'est pas ce que je préfère — alors que la deuxième partie, et aussi la fin, auraient pu être un peu plus détaillées. Mais il n'y a rien là de rédhibitoire. Si vous avez aimé les précédentes aventures d'Alex et Chase, celle-ci vous fera passer aussi quelques bonnes soirées, en attendant le suivant.(1)
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