Charles Stross : the Fuller memorandum (the Laundry – 3)
roman de Science-Fantasy inédit en français, 2010
- par ailleurs :
Stross reprend avec the Fuller memorandum les aventures de Bob Howard, commencées dans the Atrocity archives et poursuivies dans the Jennifer morgue (que j'ai lu mais dont je n'ai pas parlé ici). Le concept de base est amusant : il existe des univers parallèles où vivent des entités vastes et puissantes, des sortes de démons (ou de dieux, selon son point de vue) mangeurs de cervelles, comme il se doit, qui ne demandent qu'à venir nous voir pour un petit casse-croûte, si ce n'est carrément pour s'emparer de nos corps et s'y installer après avoir délogé l'occupant légitime. Ces êtres portent les noms lovecraftiens des grands anciens et se comportent comme les horreurs indicibles qu'ils sont. Ils circulent dans les failles entre les univers et nous visitent depuis la nuit des temps, mais les gens au courant ont toujours été peu nombreux. Pour les invoquer ou les repousser, il faut savoir s'y prendre en utilisant un mélange d'occultisme traditionnel et de mathématiques. D'ailleurs, la magie n'est en fait qu'une branche, peu connue et dangereuse, des mathématiques appliquées. Ce lien intime avec les maths explique leurs incursions nettement plus fréquentes depuis l'invention des ordinateurs avec leurs phénoménales capacités de calcul. On croit en toute innocence essayer de démontrer un théorème un peu coriace, alors que, sans le savoir, on est en fait en train d'ouvrir une voie à deux sens vers le salon d'un pote à Chtulhu.
Bob Howard, qu'on pourrait qualifier de spécialiste en informatique démonologique, travaille pour une branche des services secrets britanniques dénommée the Laundry (que je traduirais bien par la Laverie) encore plus secrète que les autres, et dont la mission est d'empêcher les monstruosités venues d'ailleurs d'entrer chez nous. Son existence même est inconnue du grand public et aussi d'une bonne partie des autorités en place, ce qui permet à la société de poursuivre son train-train normal dans l'ignorance totale des dangers qui la menacent. Et elle fonctionne, bien sûr, comme toute administration qui se respecte, en accumulant les entraves bureaucratiques à toute activité efficace. Ce qui est l'occasion de satires bien classiques dans le domaine.
Cette nouvelle aventure m'a fait découvrir un épisode tout à fait réel des années vingt où un certain baron von Ungern-Sternberg, mégalomane sadique et psychopathe, se retrouve dictateur de Mongolie, avant d'être finalement trahi par ses officiers et exécuté par les bolcheviques. Ici, un des soldats de ce charmant monsieur met la main sur un manuscrit ancien qui aboutit à ce qu'il soit possédé par un démon, ce qui ne fait d'ailleurs qu'accroître son efficacité. Le document mystérieux est envoyé par le baron à sa mère restée au pays dans l'espoir qu'il soit déchiffré mais, évidemment, il tombe entre d'autres mains et arrive sans encombre jusqu'à notre époque. S'y mêlent ensuite les services secrets russes, des taupes infiltrées au sein même de la Laverie et des sectes qui pratiquent la démonologie sans filet. La femme de Howard, Dominique “Mo” O'Brien, elle-même spécialiste de premier ordre dans le domaine, armée de son violon fabriqué avec des ossements humains, affronte les pires situations avec une détermination à toute épreuve, et ce malgré la déconfiture progressive de tous ses associés et collègues. Le patron dudit service secret, Angleton, personnage lugubre et étrange à souhait, est porté disparu tout en restant pourtant présent et actif, et on ne sait pas trop finalement ce qu'il est vraiment.
L'impression est que Stross, comme les fois précédentes, s'amuse follement avec cette histoire pleine de bruit et de fureur, mais que j'ai souvent eu un peu du mal à suivre dans la confusion générale. Elle fourmille aussi d'allusions, parfois complètement gratuites et hors contexte, compréhensibles uniquement par des geeks patentés… Il est probable qu'un certain nombre m'ont échappé, mais je me suis bien amusée avec lui pour celles que j'ai vues.
Cela dit, autant les précédentes histoires de la série étaient globalement plutôt agréables et bien enlevées, autant celle-ci m'a paru nettement plus laborieuse et parfois carrément pénible. Il y a des longueurs, surtout vers la fin, où l'auteur décrit par le menu les rites d'une secte qui veut accélérer la venue de la fin du monde en invoquant des démons et entités diverses des autres mondes, certes en espérant les contrôler, mais n'en est pas capable qui veut. Les scènes d'horreur — la dernière dans un cimetière-nécropole — n'en finissent pas avec des descriptions de torture suivies d'un remake de la nuit des morts vivants. Je suppose qu'il y a une clientèle pour ça, mais je n'en fais pas partie.
Donc, mon avis final est plutôt mitigé. Stross tire un peu à la ligne ; il doit se sentir obligé d'en faire encore plus à chaque nouvel épisode pour aboutir à en faire trop, ce qui est dommage.
Il n'en reste pas moins que je lirai sans doute le prochain roman dans la série, s'il y en a un, ne serait-ce que pour voir ce qu'est devenu ce pauvre Bob Howard, sympathique et attachant héros malgré lui, après toutes les tribulations qu'il vient de traverser.
Commentaires
Le baron von Ungern-Sternberg apparaissait tel que tu le décris dans un album de Hugo Pratt, Corto Maltese en Sibérie. J'aime bien le cycle de la Laverie : j'espère qu'on va traduire celui-ci et les suivants… Malgré les dérapages gore, Stross rend bien l'ambiance du récit feutré à la britannique qui existe quasi en tant que sous-genre dans le roman d'espionnage, depuis Le Carré évidemment. L'interaction avec le monde “magique” et ses techniques propres m'a également fait songer aux Puissances de l'invisible de Tim Powers (Declare, 2000).
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