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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 7 Revues anglosaxonnes diverses

Keep Watching the Skies! nº 7, mars 1994

Gardner Dozois : Asimov's science fiction, décembre & mi-décembre 1993

David Pringle : Interzone 76 à 79, octobre 1993 à janvier 1994

Kristine Kathryn Rusch : the Magazine of fantasy & science fiction, décembre 1993 & janvier 1994

revues anglosaxonnes de Science-Fiction et de Fantasy ~ chroniqué par Sylvie Denis

Il existe un micro genre que l'on ne verra sans doute jamais fleurir en notre beau pays : il s'agit des nouvelles “de Noël” que publie tous les ans Asimov's science fiction magazine. Il s'agit en général d'histoires de braves gens très tristes et très paumés — c'est Noël —, à qui il arrive des trucs invraisemblables pendant que tombe la neige et que les voisins accrochent des trucs dorés dans leur salon.

Cette année, ce sont Alexander Jablokov et Connie Willis qui s'y collent, et comme chaque année, c'est Connie Willis qui s'en sort le mieux, avec une histoire de voyage dans le temps et l'espace, de chorale et de couple (Marie et Joseph, qui d'autres ?) perdus dans l'hiver. Peu importent les bons sentiments : j'adore ces tranches de vie américaines, et Connie Willis prend un plaisir évident à les décrire.

Il faut dire que les revues petit format de novembre et décembre manquent un peu de relief.

La réalité virtuelle se porte toujours bien, encore que pas de façon très originale, avec, par exemple "Old antagonists", dans Asimov's de Mid-December, ou bien "Virtual love" de M.F. Hugh dans F&SF de janvier. Quand à "Forever said the duck" de Jonathan Lethem, c'est comme la précédente, une de ces nouvelles qui veulent nous faire partager la nouveauté de la vie dans la réalité virtuelle, mais qui arrivent surtout à être ennuyeuses et quasi incompréhensibles.

Plus loin dans le futur ! Lequel sera lointain ou ne sera pas. Les exemples ces derniers mois sont nombreux et de bonne qualité. Commençons dans un registre léger avec Robert A. Metzger, qui apparaît en novembre dans Science fiction age avec "Earl's snack shop", où les insectes envahissent le monde, et en janvier avec "Planet of the dolphins", où, toujours sur le mode comique, ce sont les baleines, dauphins et autres orques que le héros empêche d'envahir l'univers. À croire que l'auteur fréquente notre ami Bernard Dardinier…

Dans le genre déjanté, mais non dénué de sens, nous avons "Taco Del and the fabled tree of destiny", de — attention les yeux — Maya Kaathryn Bonhnhoff. Où l'“après catastrophe” apparaît moins horrible qu'on pourrait le croire, et où les vraies valeurs (celles qui sont contenues dans les livres) sont défendues avec humour. "Being human", de Mark Bourne, dans Asimov's de décembre, exploite l'idée selon laquelle l'humanité finira par abandonner totalement l'enveloppe physique qui est la sienne actuellement. Vous vous voyez transformé en maison vivante ? L'histoire est un peu trop prévisible, mais l'environnement amusant.

"When Joy came to the world", de L. Timmel Duchamp, paru dans F&SF de janvier, fait partie de ce que j'appelle les “catastrophes floues”. Il s'agit d'un de ces textes dans lequel quelque chose de bizarre, et de jamais clairement identifié ou expliqué, met fin à notre monde et introduit une ère nouvelle. Ici, une “neige” bizarre tombe sur toutes les rivières du monde — et uniquement les rivières — et l'humanité entre dans une ère nouvelle : paix, amour, créativité et joyeuses orgies. Le plus amusant est que le dernier pays à être touché est… les États Unis.

Les deux meilleures nouvelles viennent cependant, à mon avis, du numéro de novembre 93 d'Amazing stories, décidément fort bon. D'abord, "the Futurist" de James Gunn, dans lequel un homme vient du futur pour prouver que si on veut que le futur ait lieu, il faut y penser. Une bonne histoire, et une excellente démonstration de la nécessité et de la pertinence de la Science-Fiction en ces temps troublés. La thématique de "In the distance and ahead in time" n'est pas bien différente : un groupe de colons a réussi à survivre dans la jungle qui couvre la planète qui a accueilli leurs ancêtres. Leur territoire est limité à un haut plateau qui peu à peu est rongé par l'érosion. Les colons ne sont pas sûrs d'arriver à survivre dans la jungle. Arrive un vaisseau : pendant que la petite colonie s'accrochait à son plateau, d'autres éléments de l'humanité — qui a détruit le Terre et Mars — ont développé une civilisation stellaire. Les habitants du vaisseau ont détecté une forme de vie primitive dans la jungle. Ils proposent aux colons de quitter leur plateau et de les rejoindre. Les personnages principaux ont à répondre à des questions que seule la S.-F. peut poser : faut-il quitter un univers rassurant, mais réduit, pour un monde inconnu mais plus vaste ? A-t-on le droit de mettre en danger un futur — même aléatoire — pour survivre ? Quel est donc le prix de cette survie ?

Je serai assez tentée de désigner "Testament" de Valerie J. Freireich comme la meilleure nouvelle de décembre. Le postulat de départ (le codage génétique de la mémoire et sa transmission par les femmes) me parait complètement idiot — la mémoire est individuelle et dépend de l'activité d'un cerveau et d'un seul. Une fois ce cerveau mort, je ne vois pas ce qui peut en rester et surtout comment transmettre ce qui reste aux enfants, mais bon ! — mais la civilisation qui résulte de cette particularité est étonnante. Les problèmes que doit affronter le personnage principal sont justes assez familiers, et assez “décalés” pour qu'on soit touché tout en retrouvant le délicieux frisson que l'on éprouve lorsqu'on pénètre en terrain inconnu. J'attends avec impatience le roman qui doit se situer dans le même univers.

N'oublions pas "Eruption" du toujours indispensable Harlan Ellison, dans S.-F. Age de novembre 93. Deux pages à la fin des temps, quand le passé n'est plus qu'une légende, et que le souvenir de civilisations entières a sombré. Il s'agit, en fait d'un extrait d'une série de textes écrits pour accompagner un recueil des œuvres de l'illustrateur Jacek Jerka. On en retrouve un autre fort bel extrait dans F&SF de décembre. Encore des textes que l'on n'est pas prêts de voir en France, où nos charmants éditeurs semblent avoir oublié jusqu'à l'existence de Harlan Ellison, tellement ils ont cessé de le publier.

Plus de futur lointain mais toujours le thème de la mémoire avec "Filter feeders" de Ray Aldridge, dans F&SF de janvier où on découvre un homme capable de faire revivre leurs souvenirs aux victimes dont il ne nourrit, leur permettant de redonner couleur et saveur à une existence dont ils n'avaient pas perçu la richesse. Devinez ce qui se passe lorsque tous les souvenirs ont été revécus et absorbés ?

"Jukebox gift", de Dean Wesley Smith, où le propriétaire d'un bar, et d'un jukebox, permet à ses amis de revenir dans le temps et de refaire leur vie à partir d'un moment crucial. L'amour et l'amitié triomphent, que peut-on demander de mieux ?

On arrive avec cette nouvelle dans le domaine particulier de F&SF : des textes qui sont à peine de la S.-F., ou pas du tout, et tond le trait remarquable devrait être l'écriture ou l'atmosphère. On trouve parfois ce genre de choses dans Asimov's, et je dois avouer que ce ne sont pas mes préférés…

Toutefois, "Jenny", de Melanie Tem, dans Asimov's de mi-décembre, sort du lot dans l'évocation d'une famille hantée par le souvenir d'une petite sœur morte trop jeune. Et "the Last resort", de Kit Reed, qui pourrait s'intituler "la Vengeance d'une femme au foyer", a quelques bons moments.

Pour terminer, un saut chez nos amis anglais.

J'avoue ne pas avoir vraiment suivi le magazine Interzone dans ses derniers choix : plus assez de textes de S.-F. et trop de choses bizarro-fantastico-horrifiques, telles "Getting rid of Teddy" de Ben Jeapes, ou les aventures d'un fils de magicienne-dont-les-pouvoirs-se-développent, ou bien "Flying into Naples", de Nicholas Royle, qui fit beaucoup mieux que cette aventure sans queue ni tête — quelqu'un devrait avertir les Anglais de l'existence de Limite, cela leur éviterait de se fatiguer à œuvrer dans des directions où d'autres se sont déjà fourvoyés…

Je n'avais pas vraiment apprécié les premières apparitions de Molly Brown. Avec "Ruella in love" (novembre 1993) et surtout "Women on the brink of a cataclysm" (janvier 1994), elle trouve un ton à la fois sensible et humoristique tout à fait convaincant. "Woman…" est un tour de force à base de voyages dans le temps et de dimensions parallèles. Et d'un soupçon de féminisme. Youpi !

Paul Di Filippo est un auteur au talent aussi prolifique que varié. Rien à voir entre la novella parue en novembre et décembre et la nouvelle dont je parlais dans le numéro précédent. "Walt and Emily" est un texte pour les amoureux de l'Amérique. Pas la fausse Amérique, celle du politiquement correct de la Moral majority et des séries télé débile ; je parle ici de la vraie Amérique : celle de Walt Whitman, de Henry David Thoreau, de Jack Kerouac, et d'Allen Ginsberg. Il paraît que cet excellent texte fait partie d'un futur recueil intitulé Steampunk. Steampunk il y a, sans doute, puisque cela se passe au xixe siècle, et qu'on assiste à des voyages dans l'au-delà. Si tout le steampunk doit consister à célébrer Walt Whitman, la poésie, la sensualité et la liberté d'esprit, j'achète !

Reste non pas les meilleurs textes des derniers mois, mais ceux dont on peut dire : « Il fallait le faire ! ».

On sait que je ne suis pas amatrice de Fantastique. Le style “je me réveille après ma mort et je terrorise les voisins”, très peu pour moi. Mais il y a toujours l'exception qui confirme la règle. Dans "the Light at the end of the day" de Carrie Richardon, les morts se réveillent. Mais pas n'importe quels morts. Uniquement ceux qui ont été victimes d'un assassinat. Ils se lèvent de terre — sous forme de squelettes, pas moins — et vont demander des comptes à leurs meurtriers. Plutôt frais, comme ambiance, mais on doit reconnaître à l'auteur le talent de faire accepter la situation jusque dans ses conséquences les plus bizarres, comme une scène d'amour entre deux ex-amantes, et le retour d'un chien squelette !

Il fallait également oser écrire une histoire de S.-F. dont la conclusion est, sans rire, « et tout cela n'était qu'un rêve ». "Transitions dreams" est de ces textes impossibles à résumer : disons qu'il s'agit de ce qui se passe lorsque pour transférer une personnalité dans un nouveau corps, celui d'un robot bien plus solide, on fait une copie du cerveau. Mais qu'est-ce qui prouve que la copie est fidèle à l'original ? Et qu'est-ce qui faisait, au juste, l'identité de l'original ? Une nouvelle qui prouve, s'il en était encore besoin, que Greg Egan est un des auteurs les plus intéressants du moment, un de ceux qui abordent les problèmes de l'identité et de la personnalité comme seule la S.-F. sait le faire.

Notes

››› Voir la chronique précédente des revues anglosaxonnes de Science-Fiction dans KWS 6 et la suivante dans KWS 8.