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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 7 Richard Cœur-de-Lièvre

Keep Watching the Skies! nº 7, mars 1994

Jacques Mondoloni : Richard Cœur-de-Lièvre

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Sylvie Denis

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Ha que la vie est quotidienne,
Et d'aussi loin qu'on s'en souvienne,
Comme on fut piètre et sans génie.

Jules Laforgue

Je n'aime pas les réalistes. À les voir fouailler les replis du quotidien, je les soupçonne d'être, consciemment ou pas, du côté de ce qu'il y a de pire : l'ennui, la monotonie, médiocrité. Et je commence à soupçonner les écrivains de Science-Fiction (?) français [1] d'être, comme leurs confrères de littérature que l'on dit générale, des réalistes, des descriptifs, des examineurs à la loupe de la réalité véritable, des hagiographes de la “vraie vie”.

Prenez les membres du groupe Limite : n'est-ce pas le spectre du réalisme qui hante leurs décors claustrophobiques, leurs catastrophes intérieures, leurs obsessions organiques ? C'est que pour des réalistes, me dira-t-on, ils causent de trucs bizarres, non ? Certes. Mais ce sont des réalistes dans la manière, pas dans l'intention. Ce sont, si l'on veut, des réalistes maladifs et dotés d'imagination.

Et quel rapport cela a-t-il avec le dernier ouvrage de Jacques Mondoloni ?

Cela a tous les rapports possibles. Et c'est presque malgré moi que j'en suis venue à cette conclusion. Mais enfin : voici un futur vague, mou, grisâtre, quelque part à la croisée du Désert des Tartares et de 1984, si on ne gardait de ce dernier que la vague impression de malaise laissée par une administration idiote et une armée omniprésente. Cela se passe à Layseberg, une ville si vaguement ancrée dans la réalité géographique qu'il ne m'est même pas venu à l'esprit à l'idée jusqu'au moment où j'écris ces mots de la rechercher sur un atlas. Richard, le “cœur de lièvre” du titre fait son service militaire. L'armée : tranche de vie. Si ça n'est pas du réalisme… Cette ville de garnison, grise, triste à pleurer, confite dans des conventions qui semblent avoir ressurgi d'un passé lointain, a ses figures : Franz Beck, le conservateur du musée qui vit dans une chambre meublée uniquement de fauteuils, et qui est atteint d'une maladie — tiens donc ! — originale : le ptyalisme, qui se caractérise par une salivation anormalement abondante. Il y a aussi le lieutenant Nitche, qui est ou n'est peut-être pas atteint d'ergotisme. Et ainsi de suite : les questions sur le rôle de l'armée, sur les manipulations du passé, sur la désinformation, sur la disparition des animaux, sont posées comme en sourdine, tandis que s'installe une atmosphère étouffante et désespérée.

Bien sûr, Richard déserte, le lieutenant Nitche rencontre une jeune femme.

Franz Beck apprend le rôle que joue le peintre Grunewald dans la réhabilitation des animaux domestiques. Mais tout cela, tout ce qui pourrait rendre cet univers plus intelligible, n'est jamais vraiment amené en pleine lumière. C'est sans nul doute la volonté de l'auteur. Volonté respectable, mais qui laisse le lecteur sur sa faim : le livre, en fait une novella, est frustrant pour celui qui aurait voulu qu'on en dise plus sur un univers qui n'est là qu'esquissé. Le lecteur pourrait aussi vouloir, mais là, c'est affaire de tempérament, plutôt que de jugement littéraire, que les personnages en fassent plus : que Richard ait la révolte un peu plus volontaire, que le lieutenant finisse un peu moins mal, que les femmes ne soient pas que des victimes… Et c'est là qu'on s'interroge sur la volonté des réalistes : en montrant la médiocrité, la manipulation, la lâcheté et le mensonge sans y proposer de remède, l'auteur les dénonce-t-il, ou n'en est-il que le témoin complice ? C'est au lecteur de juger.

Le critique ne peut que constater, une fois de plus, que quelque chose de glauque hante la Science-Fiction française. Il ne saurait dire ce que c'est.

Notes

[1] À ne pas confondre avec les écrivains de Science-Fiction française, dont il faudrait d'abord démontrer qu'elle existe ailleurs que dans notre collective imagination.