Keep Watching the Skies! nº 11, avril 1995
Robert Silverberg : Ciel brûlant de minuit
(Hot sky at midnight)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial
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L'avenir n'est plus ce qu'il était, et ce depuis un bon moment déjà. Effet de serre, gruyérisation de la couche d'ozone et autres joyeusetés font du XXIVe siècle un endroit où l'on préférerait ne pas avoir à passer ses vacances : pendant qu'Israël et le monde arabe réconciliés jouent les super-puissances à climat humide, l'Europe et les Etats-Unis, dominés par deux conglomérats japonais concurrents, ont été à peu près saharahisés, les météorologues surveillent avec quelque anxiété le cheminement des nuages de produits toxiques, on respire un air qui tourne à la purée de pois, il faut aller arraisonner des icebergs au large pour alimenter en eau douce les villes côtières, et l'océan lui-même ressemble de plus en plus à la soupe originelle, celle d'où est sortie la vie, vie qui pourrait bien recommencer cette fois par des bactéries pathogènes.
Les perspectives les plus réconfortantes sont un hypothétique voyage interstellaire, où une vaste opération de génie génétique transformant à terme l'homme en un être différent, trimballant du souffre dans son sang, et capable de se passer d'oxygène. Ce contre quoi les équivalents fonctionnels de certains de nos écolos, appelés "humanistes", s'insurgent hautement. S'ajoutent des stations spatiales qui tournent à la république bananière, et, puisqu'il a déjà été question de mutations génétiques et de vaisseau destiné à sortir de notre système solaire, la nécessité d'autres manipulations pour "voir" aux vitesses circum-luminiques, manipulations qui privent d'yeux, mais permettent de percevoir le monde sous forme de systèmes de formes géométriques, plus ou moins symboliques pour ce qui est des êtres humains. N'en jetez plus.
Voilà pour le décor. Le météorologiste qui accepte de devenir patron de bateau arraisonneur d'icebergs est un vieil ami du biologiste dont le programme peut modifier l'humanité, et dont la petite amie, "humaniste", a une copine un peu nymphomane qui se retrouve dans les pattes d'un espion israélien, lequel s'intéresse à la station orbitale où le premier individu doté de supervision recherche le généticien qui lui a fait ce “cadeau”, dans le cadre de la préparation du grand vol spatial dans lequel sera impliqué le météorologiste déjà cité. Ce qui ferait boucler la boucle si l'on n'oubliait le jeune Sud-Américain jouant les guides pour réfugiés ou chasseurs de réfugiés dans la station orbitale, une copine du météorologiste avec des problèmes personnels gros comme un IBM de première génération, ou l'équipage de l'arraisonneur d'icebergs, plus celui, mutiné, d'un autre navire. Et quelques autres trucs qui doivent traîner dans les coins, et que vous découvrirez bien tout seuls. Dans un numéro de Pilote de la grande époque, on aurait ajouté que le fils du voisin de la concierge de l'école où le biologiste avait appris à compter était un neveu du coiffeur de René Goscinny.
Résumons-nous : il se passe plein de choses, il y a plein de personnages, Silverberg s'est battu les flancs pour que tout ait un rapport avec tout, comme au temps où on bricolait un roman par juxtaposition de nouvelles apparemment indépendantes. Comme il a, pour le moins, du métier, ça fonctionne. N'empêche que bien des choses laissent une impression de trop peu, de bâclé. Que qui trop embrasse mal étreint. Que certains épisodes arrivent comme la perruque de Waechter sur le potage (tout ce qui concerne les navires et les icebergs, en particulier…). Que chaque fragment pourrait devenir un roman. Qu'on pourrait se servir de tout cela pour jouer les procureurs, se payer un monstre sacré (deux, il y a aussi le directeur de collection…).
Et en même temps, le plumitif fanzineux (qui ferait mieux par ailleurs de ne pas la ramener) a toutes raisons de jouer les avocats de la défense. Et pas pour faire un plaidoyer "de rupture" façon Vergès. Parce qu'à un proverbe débile peut répondre un autre, et qu'abondance de biens ne nuit pas. Qu'on ne peut pas reprocher à un auteur de lancer une floppée d'idées sans les utiliser jusqu'à complet épuisement, c'est à dire de ne pas tirer à la ligne. Qu'on ne serait pas plus satisfait si cet univers avait été la base d'une une tétra, penta, ou dodécalogie. Que le lecteur peut toujours s'emparer des idées qui lui sont proposées, les malaxer ou les laisser reposer, et prolonger l'univers qui lui est proposé (univers incomplet, mais tout à fait cohérent). Après tout, il faut bien qu'il bosse lui aussi. La SF est une littérature collective, savez-vous…