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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 20 Helena von Nachtheim

Keep Watching the Skies! nº 20, juillet 1996

Yvon Hecht : Helena von Nachtheim

roman fantastique ~ chroniqué par Micky Papoz

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Dans le Lévitique, XVII, 10, 14, il est dit : « Car l'âme de la chair est dans le sang… Car l'âme de toute chair, c'est son sang qui est en elle. C'est pourquoi j'ai dit aux enfants d'Israël : vous ne mangerez le sang d'aucune chair ; car l'âme de toute chair c'est son sang : quiconque en mangera sera retranché. »

De cet interdit naquit la tradition des vampires. Bien avant le Dracula de Bram Stoker, écrit en 1897, des légendes vampiriques mettant en scène des goules (vampires femelles) circulèrent de l'Orient jusqu'à l'Occident. Il y eut même des cas authentiques, comme celui d'Erzébet Bathory, laquelle fit assassiner entre trois cents et six cents jeunes filles pour se baigner dans leur sang afin de conserver sa jeunesse et sa beauté. Rien ne prouve que la comtesse-goule n'absorbait pas également le précieux liquide vital.

Les romans mettant en scène les vampires se sont succédés au fil des ans, sans pour autant lasser les inconditionnels du genre. Si au départ la tradition voyait dans le vampirisme un désir de revanche ou un besoin impérieux de se régénérer, il en fut souvent autrement lorque les auteurs traitèrent le sujet des vampires de sexe féminin. Les passionnés seront ravis d'ajouter Helena von Nachtheim à leur collection.

Helena est la “nièce” adoptive du prince Hardenberg, ambassadeur de Prusse auprès de Louis XVIII. Lors d'une grandiose réception donnée par son tuteur, la jeune fille est présentée à la haute société parisienne. Au cours de cette manifestation, Wilhem Vordenburg, jeune médecin du prince, tombe sous le charme morbide de la jeune fille. Peu à peu, Helena se confie au jeune homme. Elle a si peu connu ses parents qu'elle n'en garde aucun souvenir, pas plus que de ses deux sœurs dont elle fut séparée de très bonne heure. Au fil de son récit, Helena semble vouloir couper les fils la reliant à son passé. Wilhem finit par apprendre la singulière déviance d'Helena. Celle-ci se nourrit du fluide vital de petits animaux qu'elle attire mystérieusement. Helena compte sur le médecin pour la guérir de cet étrange mal. Uni pour le meilleur et surtout pour le pire à Helena, Wilhem va enquêter sur le passé de son aimée et découvrir d'étranges secrets.

Le thème inépuisable du vampire est revisité sur un ton différent. Cette fois la jeune femme n'apaise pas sa faim en suçant le sang, mais en se nourrissant de l'énergie d'animaux familiers. Pourtant comme les autres striges et goules, issues des légendes, Helena perpétue à sa manière la tradition. Dans ce roman à l'écriture purement poétique, nous sommes plus près de la Jeune vampire de J. -H. Rosny aîné (1920, Flammarion, collection "Une heure d'oubli"), que de la Carmilla aux mœurs homosexuelles de Joseph Sheridan Le Fanu (Denoël, "Présence du fantastique" nº 33). Nous sommes bien éloignés de l'autre Carmilla, beaucoup plus lubrique, que livra Jeanne Faivre d'Arcier dans son Rouge flamenco (Pocket, collection "Terreur" nº 9127). Les femmes vampires excitent l'imagination des auteurs. Mais si, par curiosité, nous nous penchions sur la définition du mot goule — ou strige — qui désignent les vampires [1] au féminin ?

En fait, pour connaître le sens des goules et des striges, il faut tout d'abord chercher dans le dictionnaire au mot vampire, son homologue masculin. En fin de paragraphe, on trouve invariablement ces deux mots. Dans le Larousse pour tous en deux tomes (édition de 1904), au mot "goule" on trouve : « issu de l'arabe ghoul. Sorte de vampire, à forme de jeune femme, qui, dans les superstitions orientales, suce le sang des vivants et dévore les cadavres pendant la nuit ». À "strige", il est dit : « nom d'une sorte de vampire qui, d'après la croyance de certains peuples orientaux, erre la nuit pour sucer le sang et dévorer la chair des hommes endormis. Le nom masculin en serait stryge ». Dans le Petit Larive et Fleury (édition de 1930) la goule est un être fabuleux qui dévorerait les cadavres dans les cimetières, tandis que la strige est considérée comme un être chimérique appelé aussi vampire. Dans le Nouveau Petit Larousse (édition de 1971), la goule est un démon femelle, qui, selon les superstitions orientales, dévore les cadavres dans les cimetières et la strige est un vampire des légendes orientales. Dans le Petit Robert, (édition de 1978) la goule est issue de l'arabe ghoûl (le U a pris un accent circonflexe) qui veut dire démon. Sorte de vampire femelle des légendes orientales. Et la strige ou stryge (ici la différence de sexe n'est pas notifiée) est par contre un vampire tenant de la femme et du chien.

Plus amusante (ou désolante suivant le degré où on la prend) fut l'introduction de l'anthologie Histoires de vampires, présentée par Roger Vadim (édition de poche de 1960). Celui-ci divaguait sur un rêve dans lequel il avait vu un auriculaire manquant à l'une de ses mains, et rencontré le lendemain même un homme dont l'auriculaire avait été coupé au cours de la guerre au Japon… On se demande bien ce que venait faire cette affaire de doigt lorsque, au trois-quarts de sa préface, Vadim parlait enfin du mythe du vampire, né, d'après lui, (je cite in extenso), en Bohême-Moldavie [sic], sur une trame d'histoires de sorcières et de querelles paysannes, il y a trois siècles. Vadim achevait son pensum en disant qu'il ne croyait pas aux vampires, mais à ce qui les avait inspirés. Dieu merci, l'anthologie était plus intéressante que les balivernes de celui qui n'était pour rien dans le choix des textes, lesquels avaient été élus et annotés par Ornella Volta et Valerio Riva. On y trouvait du reste un long poème de Wolfang Goethe, évoquant une jeune femme vampire et intitulé "La fiancée de Corinthe" (1797).

En bref la goule et le strige ne sont pas encore tombées dans le domaine de l'obsolète. Néanmoins il faut ajouter qu'il n'y a pas que des vampires morts. Il en est également de vivants.

En autorisant le peuple à se trémousser dans les cimetières [2], en cultivant la vénération de la Mort, l'Église familiarisa ses fidèles à l'étalage du contenu des tombeaux. La croyance aux goules et aux vampires s'introduisit naturellement dans l'esprit du peuple et l'épanouissement de l'épidémie vampirique au XVIIIe siècle ne peut nous étonner.

Et les vampires de nos jours ? Le sommes-nous parce que la plupart d'entre nous s'alimentent de chair ? Les Masaïs, peuple pasteur, ne se sustentent qu'avec le sang de leurs troupeaux de buffles. Ce n'est pas une raison pour qu'ils se considèrent comme des vampires. Allez expliquer à un vietnamien de Hanoï qu'il est vampire parce que, après avoir dégusté un serpent égorgé sous ses yeux, il s'en fait remettre le cœur encore palpitant. Il l'avale sans le croquer pour mieux sentir au fond de son estomac la vie qui s'éteint et lui transmet son énergie vitale. Voilà qui nous ramène à Helena, car en Asie, ce ne sont pas uniquement des serpents qui sont dévorés ainsi, ce peut-être aussi bien des chiens que des chats ! Comme nous semble douce la déviance vampirique d'Helena à côté de ces barbares coutumes, puisque les animaux viennent de bon gré à elle et s'éteignent entre ses bras, lovés contre sa poitrine.

Avec Helena nous sommes plus près de la femme vampire de cinéma, qui appartient à une race supérieure et distinguée, qu'à l'autre sorte de vampire évoquée dans les contes Malaisiens, Bulgares, Polonais, Mexicains ou Chinois, et dont les disparités sont tout aussi exécrables. Les coutumes contemporaines évoquées plus haut vous donnent un aperçu de ce que l'on peut découvrir dans ces contes.

La nuit, Helena ne soulève pas la pierre de son tombeau pour aller s'abreuver de sang frais. Elle dort tranquillement dans son lit dans les bras de son bien-aimé. L'énergie des animaux lui suffit et encore, n'a-t-elle pas besoin de planter ses dents dans leur chair. Pareille à la Carmilla de Sheridan le Fanu ou à celle de Jeanne Faivre d'Arcier, Helena est bien vivante. Comme "la Jeune vampire" de J. -H. Rosny aîné, elle est même capable de mettre au monde un enfant.

Cependant Helena fait partie de la lignée des "Christabel", de Samuel Taylor Coleridge, des vampires des contes des "Soirées des frères Sérapion" de Ernst T. H. Hoffmann. Elle est aussi désirable qu'Amine, la goule des Milles et une nuits, elle n'a rien de la malfaisante “Morte amoureuse” de Théophile Gauthier, lequel se servit de ce thème pour aborder des sujets interdits au rigide XIXe siècle.

Helena ne lie pas le spasme amoureux à la morsure nutritive. Les femmes vampires sont légion. Citons la duchesse Opolchenska de Jean Ray, dans "Le gardien du cimetière", la "Sonia" de Claude Seignolles ou la gitane "Stragella" de Hugh B. Cave, qui la décrit sauvage, presque bestiale, et qui n'est pas sans rappeler Miriam, la vampire du roman Les prédateurs de Whitley Strieber.

« Jour de bonheur, jour de malheur, qu'importe. Le sablier du temps s'épuise, jamais je ne fus si proche. » répète Helena à Wilhem, lequel attendra désespérément le retour de sa bien-aimée. Ainsi lui sera évité de passer outre les tabous de la nécrophilie évoqués par Théophile Gauthier. Durant son absence, le jeune femme ressuscitée sera repartie avec son enfant pour son pays.

Pourtant à la fin du roman, il est difficile de ne pas évoquer le sonnet que Théophile de Viau adressait à la souvenance de son amie Phylis :

Je songeais que Phylis, des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore me fît l'amour
Et que, comme Ixion, j'embrassasse une nue.

Il est vrai que les écrivains et poètes décadents de la fin du XIXe étaient friands d'images morbides. À aucun moment, Wilhem n'apparaît comme un nécrophile et n'est pas atteint par la névrose d'Antinéa. Il espère tout simplement le retour de son amour.

Helena est donc un roman à l'écriture soignée à se procurer absolument. Il est recommandé aux amateurs de belle lecture poétique et aux collectionneurs qui l'intercaleront entre les volumes relatifs aux femmes vampires précités.

Notes

[1] Vampire : Il est intéressant également de comparer les commentaires propres au nom masculin dans les différents dictionnaires précédemment consultés. Dans Le Larousse pour tous (1904) il est écrit : « Vampire, issu de l'allemand vampir, d'origine scandinave. Mort que l'on suppose sortir la nuit du tombeau pour sucer le sang des vivants ». Dans le Petit Larive et Fleury (1930), l'interprétation est moins convaincante pour le curieux non initié : « Être imaginaire que l'on supposait sortir des tombeaux pour sucer le sang des vivants ». Dans le Nouveau Petit Larousse (1971) on lit : « Mort qui, suivant la superstition populaire, sort du tombeau pour sucer le sang des vivants ». Et dans le Petit Robert (1978) on trouve en premier commentaire  : « Fantôme sortant la nuit de son tombeau pour aller sucer le sang des vivants ». En résumé, les vampires sont toujours considérés comme des morts se nourrissant des vivants.

[2] J'évoque ici les convulsionnaires du petit cimetière Saint-Médard, à Paris, dans lequel, au cours de l'été 1731, des dizaines de personnes, borgnes, boiteuses, estropiées, ou autres, hurlaient, sautaient, se trémoussaient, ceci dans l'espoir de guérir, devant une foule de badauds, qui n'hésitait pas à se mêler à eux. À cette époque se développa un mysticisme délirant, qui triompha à l'occasion des “miracles” opérés par un janséniste mort en odeur de sainteté. Il s'agissait de François Pâris, oratorien et diacre de l'église Saint-Médard qui vivait en ascète et faisait l'admiration de sa paroisse. Le cimetière Saint-Médard fut fermé en 1732, sur ordre de Louis XV, qui promulgua une ordonnance. On afficha sur la porte :

De par le Roi, défense à Dieu
de faire miracle en ce lieu.

Toutefois le culte de saint Pâris se réorganisa dans différents quartiers de Paris et s'étendit même à d'autres villes. Il y eu même des convulsionnaires à Pignans, dans le Var.