KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Marty M. Engle : la Visiteuse (Paranormal – 1)

Johnny Ray Barnes, Jr. : Insectes nocturnes (Paranormal – 2)

Johnny Ray Barnes, Jr. : la Spirale infernale (Paranormal – 3)

Johnny Ray Barnes, Jr. : Courts-circuits (Paranormal – 4)

(Strange matter – 23, 24, 18 & 6: Second sighting, Nightcrawlers, the Fairfield triangle & Bad circuits, 1995-1996)

romans de Science-Fiction pour la jeunesse

chronique par Sébastien Cixous, 1998

par ailleurs :

Le début de l'année 1998 est marqué chez Pocket Jeunesse par la création de deux nouvelles collections : "Froid dans le dos", une série destinée aux huit-dix ans dans laquelle Betsy Haynes donne une nouvelle lecture des grands thèmes du Fantastique,(1) et "Paranormal" qui, exclusivement alimentée par le duo Engle & Barnes, propose des ouvrages de Science-Fiction aux onze-treize ans. Bien que les patronymes du couple littéraire ne soient pas dissociés sur les couvertures, les titres traduits lors de cette fournée de lancement ne sont pas le fruit d'une véritable collaboration. En page de garde, la paternité de chaque volume est attribuée à l'un ou l'autre des comparses, avec un avantage pour Johnny Ray Barnes, Jr. qui signe, à lui seul, trois récits dans le quatuor de tête. Inégalité regrettable car la Visiteuse de Marty M. Engle s'avère — et de loin — le plus intéressant du lot.

Bien sûr, il est impossible de déceler une once d'originalité dans ce roman. Celui-ci se contente de reprendre à son actif les délires paranoïaques qui font les choux gras de Chris Carter — et de Jimmy Guieu, on oublie trop souvent de le préciser —(2) depuis plusieurs années : accords secrets entre le gouvernement américain et des extraterrestres, bases militaires mises à la disposition des aliens, hommes en noir, pressions sur les malheureux témoins de phénomènes ufologiques, gentils soucoupistes débrouillards et bricoleurs menant une lutte farouche afin de faire éclater la vérité qui se terre désespérément ailleurs… Bref, rien de vraiment neuf sous les étoiles ! Pourtant, la Visiteuse demeure de bout en bout une lecture agréable. Des personnages bien dessinés, une intrigue correctement ficelée et un découpage nerveux confèrent à l'ensemble une réelle efficacité. La naïveté du happy end et le recours à un arsenal de série B(3) feront sans doute tiquer le lecteur adulte, mais ne devraient guère soulever d'objection au sein du public naturel de la série. La Visiteuse est avant tout prétexte à une course-poursuite sans temps mort bénéficiant de nombreuses images fortes. Subtilité et réalisme apparaissent d'emblée secondaires.

Le fait est que la série "Paranormal" aligne des romans de Science-Fiction dépourvus de la moindre ambition spéculative ou réflexive, leurs auteurs ayant, semble-t-il, uniquement cherché à générer des effets de terreur. Exit les préoccupations philosophiques, la volonté pédagogique : Engle & Barnes s'adressent aux jeunes que la lecture rebute. Il n'est donc pas question de leur servir ce que les adultes jugent bon pour eux, mais ce qu'ils ont envie de lire. Dès lors, les repères s'éloignent des modèles livresques pour épouser ceux de la télévision, voire du cinéma, si souvent décriés par les amateurs de littérature conjecturale.(4)

Dans Insectes nocturnes, on se demande même pourquoi Johnny Ray Barnes, Jr. s'est entêté à rationaliser — fort maladroitement au demeurant — une histoire s'inscrivant dans la tradition fantastique la plus pure. Il y est question d'une bague gravée de symboles bizarres permettant de communiquer avec les insectes et de commander des armées de serviteurs invertébrés. Sorcellerie me direz-vous ? Que nenni ! Le premier humain à se l'approprier décide péremptoirement (p. 69) de l'origine extradimensionnelle de l'être au doigt duquel il la trouve : « Lorsqu'il se baissa, il réalisa aussitôt son erreur. La créature qui gisait dans le champ n'appartenait pas à la race humaine. Un crâne énorme surmontait un très petit corps. La taille des orbites montrait que la créature avait possédé des yeux immenses en forme d'amande et les quelques lambeaux de chair qui restaient indiquaient une peau très blanche, presque translucide. Les doigts de la main étaient très longs. Oui, la chose venait d'une autre dimension. ». Et pourquoi pas d'une autre planète, serait-on tenté de demander ? Ou de Roswell ? Ou d'un autre âge ? Ou d'une quelconque cavité terrestre ? Vaine question, strictement dépourvue d'importance d'ailleurs pour la suite du récit. Le gars aurait aussi bien pu la déterrer au pied d'un chêne en binant son jardin ou l'hériter d'une vieille tante de Nouvelle-Angleterre réputée pour nouer l'aiguillette ! Quelque temps plus tard, notre homme égare la bague. Celle-ci aboutit alors entre les mains d'un collégien qui l'utilise — je vous le donne en mille ! — à ranger sa chambre et à dérober les réponses à une interro d'Histoire ! Bel exemple d'imagination sclérosée dont on ne sait si elle affecte le héros ou l'auteur.

Avec la Spirale infernale, les choses se gâtent encore. Fairfield, la ville dans laquelle Barnes situe chacun de ses récits, possède, dans ses environs, un périmètre de forme triangulaire dans lequel cent cinquante-trois disparitions ont été recensées depuis 1873. Pourquoi ? Comment ? Une partie du mystère est dévoilée dans la traduction (très) libre du titre original, the Fairfield triangle :(5) une spirale infernale apparaît sporadiquement dans la zone maudite et, nous apprend une incrustation de texte en couverture, « elle aspire tout sur son passage » ! Bonjour le suspense ! Il ne reste plus qu'à attendre les dernières pages de cette enquête languissante menée par un groupe de Sherlock Holmes en culottes courtes pour savoir ce qui se cache derrière la spirale. Je vous rassure tout de suite, ce n'est pas l'Enfer, et l'explication horrifique proposée par Barnes subit les effets désastreux d'un dénouement hâtif.

Après cette calamité, on serait presque tenté de trouver des circonstances atténuantes à Courts-circuits, quatrième et dernier volume de la première fournée.(6) Il s'agit cette fois d'un robot doué de raison construit en grand secret par un garçonnet dans sa chambre, qui échappe à la surveillance de son créateur et sème la panique en ville. L'histoire franchit un degré dans la tragédie lorsque la machine prend une partie des citadins en otage et s'empare d'une bombe neurale conçue par le petit voisin du héros, en vue du Salon annuel des inventeurs de Fairfield ! Chez Barnes, la demi-mesure n'existe pas : soit les gosses manquent totalement d'imagination comme Brian dans Insectes nocturnes, soit ce sont de véritables génies qui fabriquent avec très peu de moyens des armes destructrices dépassant de très loin la technologie des centres de recherche les plus perfectionnés. No comment

Autant dire que "Paranormal" affiche pour l'instant un bilan relativement négatif. Mais les titres français paraissent sans tenir compte de la numérotation américaine et l'avenir nous dira si Engle vaut véritablement mieux que son alter ego. En misant sur le divertissement pur au mépris de toute orientation didactique ou cérébrale, cette collection rompt avec une certaine idée que, dans nos contrées, la plupart des spécialistes se font de la Science-Fiction jeunesse. Les nombreuses erreurs de parcours de Barnes ne permettent pas pour l'instant de la cautionner, si ce n'est en espérant qu'elle amène des ados en rupture avec la littérature à découvrir la Science-Fiction et à lire autre chose.

Sébastien Cixous → Keep Watching the Skies!, nº 28, mai 1998


  1. Quatre titres parus à ce jour : Dans la peau d'un chien, Panique à la cantine, l'Apprentie sorcière & Hôtel mortel.
  2. Curieusement, le premier fait moins ricaner que le second.
  3. Voir l'arme “intelligente” de la page 96 qui « distingue les matières organiques des matières non organiques et ajuste sa puissance automatiquement ».
  4. Comment ne pas faire allusion ici au fameux fossé dont Jacques Goimard mesurait la profondeur dans l'Encyclopædia universalis à l'article Science-Fiction : « Le cinéma de Science-Fiction donne parfois l'impression d'avoir trente ans de retard sur la littérature correspondante ». Aucune estimation relative au décalage avec les séries T.V. n'est fournie…
  5. Qui fait bien entendu référence à son homologue des Bermudes.
  6. Comme pour la collection "Froid dans le dos", le rythme de parution est le suivant : deux titres en avril, trois en juin — vacances obligent — et deux en octobre.

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