Claude Ecken : Petites vertus virtuelles (Macno – 11)
roman de Science-Fiction, 1999
- par ailleurs :
On a souvent reproché aux auteurs du Cétacé(1) de ne pas jouer le jeu de Macno. Sur ce point, Gavial poursuite de Michel Chevron décroche, je crois, la palme. On ne saurait toutefois formuler de griefs similaires pour le roman de Claude Ecken, qui, en vieux routard du genre, nous offre un Macno d'excellente facture où l'Intelligence Artificielle — ou plutôt “électronique”(2) — joue un rôle essentiel. On sait Ecken particulièrement à l'aise dans le contexte informatique : il fut l'un des pionniers du cyberpunk en France(3) et cosigna avec Scotch Arleston, lors son grand come-back en 1996, une étourdissante plongée virtuelle entre les bulles, mise en images par Thierry Labrosse.(4) On surprend d'ailleurs dans cette première aventure des Bug hunters — demeurée hélas sans suite — les principaux ingrédients du onzième Macno : la figure du dépanneur audacieux, des pièges sur la toile et une cohorte de cyberprostituées rompues aux pratiques sado-masochistes. Façon comme une autre d'insinuer que Petites vertus virtuelles donne un salutaire coup de fouet à la collection !
Quatre chercheurs travaillant pour Fellerton Biogenics sont passés de vie à trépas lors de rendez-vous coquins avec des tamageishas, ces maîtresses virtuelles qu'une élite fortunée entretient à coup de dépenses somptuaires. Les responsables de Paradinet engagent Samuel Bozca, un obscur informaticien, pour résoudre cette énigme qui risque d'entacher la réputation de leur cité, fréquentée en majorité par des scientifiques. Le jeune homme ne tarde pas à mettre le doigt dans un implacable engrenage mû par la raison d'État. Par chance pour Sam et pour l'avenir de quelques nations, macno veille au grain…
À propos de son engagement dans le domaine de la SF, Claude Ecken confiait, voici quelques années :
« À la base ma motivation aussi bien pour la Science-Fiction que pour écrire de la Science-Fiction ça a été l'évasion. Une fuite du réel, une fuite d'un monde que je n'aimais pas. […] Plus tard je me suis rendu compte que la Science-Fiction ne permet pas de fuir le monde, mais m'oblige à le regarder en face, à travers un filtre ».(5)
Et il retrouve en quelque sorte dans la virtualité une nouvelle métaphore du réel. En bon écrivain progressiste, il balaie d'emblée les craintes que la majorité bêlante ressasse en Panurgie occidentale :
« Nos grands-pères avaient prédit, avec l'avènement de l'informatique et ses délires virtuels, une société autiste, incapable de communiquer avec autrui. C'est l'inverse qui s'est produit. Bien sûr, on discute, échange, rit, joue et baise beaucoup dans les cités virtuelles, qui restent d'excellents palliatifs à la solitude et aux problèmes de communication. »
Tout en gardant les pieds sur terre :
« Mais à la longue ce type de relation ne souligne que plus cruellement une solitude. Si la quantité de rencontres réelles a chuté de façon drastique de nos jours, cela s'est fait au profit de l'authenticité des liens véritables. » (p. 12).
Le virtuel n'occasionne pas la destruction des rapports humains. Il modifie cependant en profondeur leur nature. De manière plus générale, la virtualité n'est pas une irréalité, comme on l'affirme si souvent : elle est une autre réalité. Les communautés virtuelles sont bel et bien de nouvelles collectivités obéissant à des codes sociaux. Leurs membres nouent des liens affectifs, échangent des informations, collaborent : Ecken insiste tout particulièrement sur la tenue de colloques scientifiques, qui évitent aux savants de se déplacer physiquement. Ce deuxième monde est un théâtre dont l'action influence la vie concrète de ses acteurs, permettant de résoudre moult problèmes individuels et collectifs. Le virtuel se nourrit du réel et l'alimente en retour. Cette interpénétration, manifeste, est parfaitement illustrée par la détermination de macno à s'incarner dans une entité biologique et à bouleverser les affaires humaines. Comme la Science-Fiction, la virtualité peut, dans un premier temps, être motivée par une quête de la déréalisation, mais dans un second temps, elle nous ramène toujours au réel.
Cette réalité bis n'est pas exempte de menaces : Claude Ecken agite le spectre des castes, représentées ici par les communautés de savants repliées sur elles-mêmes, et souligne les risques de manipulations, voire d'abandon à l'illusion virtuelle — c'est en fin de compte ce qui arrive aux victimes des tamageishas. La sagesse impose la création d'instances éthiques, sonnant le glas des rêves libertaires. Car si la fiction nous dote d'un auxiliaire idéal puisque désintéressé, en la personne de macno, on se dit, en scrutant l'avenir, que l'utopie dans le deuxième monde n'est pas pour demain… Mine de rien, Claude Ecken n'affadit pas son discours, il l'adapte seulement aux contraintes d'une série vouée à la distraction et décline, en vision stéréoscopique totale, les vices, vertus et vertiges du virtuel.
- Macno est publié par les éditions Baleine…↑
« Je suis une intelligence électronique ! »
clame Macno (p. 57).« Mon esprit est réel ! Mes pensées sont concrètes ! Et le support qui me tient lieu de cerveau est électronique ! »
↑- L'Univers en pièce (Chroniques télématiques – 1) a été écrit avant que Neuromancien de William Gibson ne sorte dans l'hexagone en 1985.↑
- Le Prisonnier virtuel (Bug hunters – 1) chez Soleil, collection "Soleil de nuit".↑
- Table ronde autour de Claude Ecken, avec Philippe Boulier, Pascal Godbillon, André-François Ruaud, Michel Tondellier & Roland C. Wagner, dans la Geste, chapitre cinquième, février 1994.↑
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