La bonne idée éditoriale de ce mois d'avril 1999 a, semble-t-il, été de proposer un livre sur Stephen King. Deux éditeurs, au moins, l'ont eu en même temps : Encrage avec Stephen King : parcours d'une œuvre de Laurent Bourdier et les éditions Mazarine avec Stephen King le faiseur d'histoires de Jean-Pierre Dufreigne. Bien que publiés en même temps, ces deux ouvrages sont forts différents sur la forme comme sur le fond. Aucun des deux n'est exempt de reproches, mais le plus intéressant des deux est très certainement celui de Laurent Bourdier.

En effet, l'auteur de Stephen King : parcours d'une œuvre a choisi une approche thématique de l'œuvre de King. Après une courte biographie introductive, permettant de situer le romancier, Laurent Bourdier met en évidence les principaux thèmes récurrents des écrits de Stephen King : la religion, la technologie, le pouvoir politique et le capitalisme, l'enfance et l'adolescence. L'approche très particulière de ces thématiques fait que les livres successifs de King participent à la construction d'un univers cohérent. L'univers kingien permet au lecteur de se sentir à son aise, car il est en pays de connaissance, même si le romancier s'emploie à le surprendre régulièrement. En quelques pages, Laurent Bourdier démontre ainsi qu'il y a une véritable continuité dans l'œuvre de Stephen King. Il insiste également sur la place que le romancier King laisse, dans ses livres, à des romanciers de fiction, qu'ils soient héros, victimes ou simples témoins. Bourdier termine son analyse par un chapitre où il essaie de démontrer, avec plus ou moins de réussite, que Stephen King est à lui seul un genre nouveau de littérature.

Déjà auteur d'une thèse consacrée à Stephen King,⁽¹⁾ Laurent Bourdier connaît bien son sujet. On peut simplement lui reprocher une approche encore trop universitaire qui le conduit à conforter son propos par de bien trop nombreuses citations d'auteurs et de critiques américains. À tel point qu'on peut parfois se demander si les idées qu'il défend dans ce livre sont les siennes ou bien celles des personnes qu'il cite. La multiplication d'exemples peut parfois conduire à quelques rares mais grossières erreurs. Ainsi, lorsqu'il cite le nom de personnages présents dans plusieurs romans de King, Laurent Bourdier associe le sheriff Alan Pangborn à Dead zone, alors que tout le monde (ou presque) sait que c'est le sheriff Bannerman qui officiait à cette époque à Castle Rock. Alan Pangborn n'a pris la succession de Bannerman qu'après la mort de ce dernier, victime des crocs d'un chien enragé nommé Cujo.

L'autre réserve qui peut être faite, à la lecture de cet ouvrage, réside dans la brièveté de l'analyse. Celle-ci tient sur quatre-vingt-quatorze pages, alors que le reste du livre est consacré à une bibliographie complète de Stephen King, une bibliographie critique, une filmographie détaillée et une chronologie rapide. Si la bibliographie, habilement commentée, s'impose très certainement, la filmographie de King n'était pas indispensable dans un livre nettement axé sur la part littéraire de l'auteur de la Part des ténèbres.

Fort heureusement, ces quelques restrictions ne remettent pas en cause la qualité du travail de Laurent Bourdier, qui offre une approche différente de l'habituelle chronologie des livres de King et de ses adaptations cinématographiques. D'une certaine manière, sa vision thématique de l'œuvre de Stephen King pourrait être un agréable complément à un ouvrage tel que Stephen King : trente ans de terreur (1997, dirigé par Hugues Morin), qui reste, à ce jour, l'un des meilleurs et des plus complets ouvrages critiques francophones consacrés à Stephen King.