Michel Pagel : la Sirène de l'espace
roman de Science-Fiction, 1999
- par ailleurs :
Francis Briand va pouvoir poser son sac : après cinq ans de service militaire, passés dans l'espace à faire une guerre à laquelle il ne croit pas, il rentre sur Terre, démobilisé. Les règles du roman d'aventures, naturellement, nous empêchent de croire une minute au futur bonheur domestique du pacifique — et pacifiste — Francis, et ça ne rate pas : drogué, il se retrouve embarqué de force sur un vaisseau corsaire — enfin, c'est ce qu'ils disent ; la différence avec des pirates purs et simples n'est pas bien apparente —, lancé dans une mission inhabituelle. Et pourvu d'une arme encore plus inhabituelle : une sirène, femme synthétique capable de survivre dans le vide interplanétaire, et surtout d'instiller aux hommes qui l'écoutent les émotions de son choix. Fort utile pour soumettre un ennemi sans même combattre.
La piraterie, que l'on associe toujours à des images sorties des xviie et xviiie siècles (bateaux à voiles, rhum et sabre d'abordage), est toujours bien vivante aujourd'hui, sous des formes sinistres qui n'ont plus grand-chose à voir avec les aventures des pirates. Bien des cargos disparaissent en Mer de Chine. On les retrouve parfois, mais jamais les cargaisons, et bien rarement les équipages. Vues la quasi-impossibilité d'un abordage dans l'espace, et la destruction complète de la proie que promet le moindre combat dans le vide, imaginer une forme de piraterie économiquement viable dans le contexte de la navigation spatiale est un défi que pourraient relever des auteurs de SF soucieux de vraisemblance technique. Melissa Scott s'en approche dans Night Sky Mine. Ni Francis Valéry — avec sa série parue dans Bifrost —, ni Pagel dans le présent roman ne se soucient de cette question : ils veulent écrire des histoires de pirates, un point c'est tout. Valéry s'en sort par l'humour et les clins d'œil constants ; Pagel trouve au sort bien particulier de son vaisseau corsaire une justification contournée, mais astucieuse.
Une justification qui explique aussi comment le pacifiste Briand — qui a passé son service comme opérateur radio, sans jamais utiliser une arme — endosse aussi facilement le rôle du galant héros, ou pourquoi les hommes d'équipage de l'Éclaireur portent tous ces sabres-lasers qui font rigoler les autres spationautes — et, avouons-le, les lecteurs qui réfléchissent deux minutes. Bien joué ! mais pas assez intéressant, sans doute, pour justifier tout un roman : une novella aurait mieux fait l'affaire. À cela près que les écrivains doivent vivre, et que le marché étant ce qu'il est…
Ne reprochons pas à Pagel un roman qui peut décevoir après l'univers de l'Équilibre des paradoxes : il se lit bien, et n'ennuie pas, à condition qu'on le prenne — comme nous le suggère la quatrième de couverture — comme un hommage prolongé à l'Île au trésor. Et il réussit même à se distancier vis-à-vis de sa situation de base légèrement ridicule (les pirates de l'espace).
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