Gilles Dumay : Aventures lointaines 01
anthologie de Science-Fiction et de Fantasy, 1999
- par ailleurs :
On ne trouvera, couverture nonobstant, ni dragon ni épée dans ce numéro 01(1) de la nouvelle série d'anthologies de Gilles Dumay, et les amateurs de Science-Fiction dans sa variété uchronique y trouveront plus leur compte que ceux de “médiéval fantastique”.
Il y a toutefois, au-delà de la sympathique mais étourdie logomachie de Gilles Dumay proclamant abolition des frontières et mélange de tout un tas de genres — créés à mon sens par la tendance actuelle à l'émiettement des étiquettes —, une unité thématique très soudée dans ce recueil. Les quatre textes présentés sont tous à leur manière des uchronies plus ou moins fortement teintées de science imaginaire — là où la SF fait mine de décrire ce qui pourrait se passer en suivant les lois connues de l'univers, ici, la plupart du temps, on invente hardiment des lois physiques nouvelles et on travaille à partir de cela. La vraie différence étant sans doute que la SF d'il y a cent, ou cinquante ans, commettait à peu près aussi souvent de tels écarts, mais leurs auteurs ne le savaient pas, ou du moins n'osaient pas le revendiquer.(2) Et j'avoue que je ne comprends pas tout à fait ce que l'anthologiste désigne sous l'expression “Science-Fiction prospective classique”, qu'il se propose de ne pas publier. E.E. Smith ? John Brunner ? Greg Egan ? Tous m'ont pourtant donné, pour reprendre une expression de l'introduction — dumayenne, et donc toujours très distrayante —, de « grands coups de latte dans la tronche »
.
Ainsi donc nous avons ici "l'Apopis républicain", un texte de Michael Rheyss — dont la thématique est prudemment omise de la quatrième de couverture —, dans lequel Bonaparte a réussi sa conquête d'Égypte et adopté les anciens dieux égyptiens comme religion d'État. Deux cents ans plus tard, le système solaire est colonisé par la dynastie Bonaparte, mais des Francs-Maçons républicains ourdissent un complot pour rétablir la Liberté… Faire des dieux égyptiens des extraterrestres n'est pas nouveau ; le propos politique du texte est sympathique — mais peu approfondi — et le traitement bien lourd. Mais ça passe, à cause de l'originalité du cadre.
Le cadre, et la noirceur du protagoniste, sont aussi les seuls points intéressants de "Tu ne toucheras plus jamais terre", le récit de Stephen Baxter. La cosmologie obéit ici au système de Ptolémée — comme dans le roman de Richard Garfinkle, Celestial matters (1996) —, et Hermann Göring va vérifier dans son triplan Fokker l'existence de l'axe qui embroche la planète par son Pôle Sud.(3) Bon, les années 20 furent la période glorieuse de l'aviation, et la tentation démange les auteurs de SF de la réécrire. Luca Masali avec les Biplans de D'Annunzio vous viendra tout de suite à l'esprit ; signalons simplement dans le registre “science imaginaire” les délicieux délires de Richard Lupoff, Circumpolar! (1984) et Countersolar! (1987), dans lesquels la Terre a la forme d'un pneu. Baxter n'apporte rien de bien nouveau à ce courant strutspunk.
Dans la Venise de la Renaissance de Paul J. McAuley avec "la Tentation du Dr Stein", la science imaginaire porte sur le galvanisme, le pouvoir de l'électricité à donner la vie. Quand Mary Shelley écrivait Frankenstein, une telle spéculation relevait encore de la SF ; chez McAuley, c'est jeté dans un vaste chaudron historique (non daté), où les Prussiens sont déjà allemands et antisémites — ce qui est bien précoce pour la Renaissance. Comme souvent chez l'auteur, l'intrigue suit les schémas du roman d'espionnage, avec une belle efficacité illuminée par des éclairs de grotesque, et des éclairs de pathétique.
Arrivons enfin au meilleur texte du lot, curieusement caché au milieu du livre, le seul à relever de la Fantasy, et le seul à parler franchement de notre monde actuel. Michael Swanwick, toujours aussi génial, fait dans "la Voie du dragon" revenir Merlin — oui, beaucoup s'y sont essayés — dans les faubourgs industriels de Philadelphie. On retrouve sa fascination pour la machinerie industrielle vue comme monstre dévorant,(4) ici dans ses descriptions dantesques de raffineries de pétrole. Il brille surtout par son inversion de point de vue, avec Mordred dans le rôle d'un écologiste révolté et héroïque — sans être un parangon de vertu, l'idée maîtresse étant qu'il faut se méfier de ceux-là.
Un mot pour finir sur la comparaison entre l'anthologie que Dumay lance et celle qu'il quitte, tout en gardant j'en suis sûr un œil dessus : Étoiles vives nº 7, sous la direction d'André-François Ruaud, m'a paru à la fois meilleur et pire. Meilleur pour ses trois textes traduits de l'anglais, deux Greg Egan et un James Patrick Kelly, qui relèvent d'une SF totale et sans compromis — sans manquer d'imagination ni d'une brillante exécution. Et pire pour ses textes français, dont un au demeurant est dû au même Michael Rheyss… n'en disons pas plus, si ce n'est que ces textes ne relèvent pas moins de la SF que les trois étrangers, et que ce n'est donc pas ici mon biais pro-SF qui s'exprime. De toute façon, longue vie aux défricheurs de l'imaginaire ! Contribuez à cette longévité, achetez leurs productions : sur l'ensemble, vous ne devriez pas être déçus.
- Il est peut-être bien audacieux, dans la morose et changeante conjoncture éditoriale que nous connaissons, de présumer aussi publiquement que cette série atteindra le numéro 10… (Ce qu'elle n'a pas fait puisqu'elle s'est arrêtée au numéro 02 en 2000. — Complément de note de Quarante-Deux.)↑
- La lecture de l'essai de Joseph Altairac me remet en tête le cas — pour le moins flagrant ! — d'A.E. van Vogt.↑
- Je n'ai pas lu le texte en anglais, mais si jamais cette pièce mécanique était fort normalement désignée par le mot shaft, je crois qu'il y aurait lieu de Cressoniser à nouveau sur les Anglais, et leurs goûts contre nature…↑
- Rappelez-vous l'accident nucléaire dans le Baiser du masque (In the drift, 1985)↑
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