KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Poppy Z. Brite : Contes de la fée verte

(Swamp foetus, 1993)

nouvelles d'Horreur fantastiques

chronique par Philippe Paygnard, 2000

par ailleurs :

Dès son entrée en littérature, le talent et l'inspiration de Poppy Z. Brite ont permis à la jeune romancière de se faire une réputation dans le milieu de la littérature fantastique.

En prenant à bras-le-corps le thème du vampire, dans son premier roman, elle marchait ainsi sur les traces de ses aînées sans pour autant les copier. Les vampires imaginés par Anne Rice (Lestat) et par Nancy A. Collins (Sonia Blue) s'éloignaient déjà de l'archétypique Dracula, mais le trio de suceurs de sang, Zillah, Molochai et Twig, réuni par Brite dans Âmes perdues (Lost souls, 1992), laisse le vénérable vampire à des années-lumière loin derrière.

Comme ses consœurs, Brite aurait pu écrire de nouvelles histoires de vampires ; elle se contente, mais avec quel talent, de sélectionner des textes sur le sujet, réunis dans l'anthologie Éros vampire, puis elle semble abandonner le monde des suceurs de sang, sans pour autant délaisser celui du Fantastique, comme le prouvent les douze textes réunis dans ces Contes de la fée verte. Douze morceaux de l'univers de Poppy Z. Brite rédigés dans un style qui n'appartient qu'à elle.

Dans son écriture, elle prend le quotidien à bras le corps pour mieux tourner et détourner le réel, s'emparant des tares et des vices de l'Humanité pour conter ses histoires.

Les nouvelles rassemblées dans ce recueil sont-elles porteuses d'un quelconque message ? Peut-être. Peut-être pas. La question n'est pas vraiment là, car Poppy Z. Brite explore des contrées où bien peu d'auteurs masculins osent porter leur regard — notez bien que je n'ai pas écrit aucun.

Il serait certainement exagéré, mais pas entièrement faux, d'écrire que le héros-type des œuvres de Poppy Z. Brite est un homme encore jeune et pourtant vieilli par ses expériences. On peut également préciser qu'il s'adonne à des plaisirs interdits — notamment par la Morale judéo-chrétienne classique —, qu'il s'agisse d'alcool, de drogue ou de sexe. On se doit d'ajouter qu'il peut, en plus de ce qui précède, être un suceur de sang. Enfin, on peut dire qu'il n'a rien d'un héros, ni même d'un antihéros : c'est un être humain dont on suit la trajectoire, grâce à Poppy Z. Brite, le temps d'une nouvelle ou d'un roman.

Les histoires que conte Poppy Z. Brite pourraient sembler banales, dans la moyenne des récits d'Horreur modernes, mêlant sang, sexe et critique sociale, s'ils n'étaient habités par l'âme de la romancière. Relativement courts, les douze textes qui composent ces Contes de la fée verte semblent nés d'une étrange alchimie, œuvre de Poppy Z. Brite, qui fait cohabiter poésie et putréfaction, amour platonique et désir bestial. Histoires de monstres ("Anges"), de vampires ("Sa bouche aura le goût de la fée verte"), de malédiction ("Musique en option pour voix et piano"), de fantômes ("la Sixième sentinelle") ou de zombies ("Calcutta, seigneur des nerfs"), Poppy Z. Brite touche à toutes les catégories du Fantastique avec un talent sans cesse renouvelé, mêlant l'ombre du malfaisant et l'éclat du merveilleux.

De plus, deux des Contes de la fée verte permettent de croiser la route de deux personnages récurrents du sombre univers de Poppy Z. Brite, Ghost et Steve du groupe Lost Souls. Musiciens errants à travers la vaste Amérique, leur vagabondage leur permet de rencontrer des "Anges", façon Poppy Z. Brite, avant d'avoir une "Prise de tête à New York". Un autre personnage apparaît de manière régulière dans les textes de Poppy Z. Brite : il s'agit de la Nouvelle-Orléans. Dans cette ville à l'accent français, la magie, qu'elle soit noire ou blanche, semble encore persister.

Romancière, anthologiste, biographe,(1) décidément Poppy Z. Brite cumule les talents. Elle fait partie de cette génération d'auteurs qui produit dans l'urgence et livre des textes bruts, voire brutaux. À ce titre, il est donc facile de la rapprocher de la romancière française Virginie Despentes (Baise-moi, les Chiennes savantes). Toutes deux écrivent une littérature choc, voire choquante, qui surprend et prend aux tripes. C'est un genre qu'on peut apprécier ou détester dès la première page, dès la première ligne, mais qui, dans tous les cas, ne laisse pas indifférent.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000


  1. Poppy Z. Brite est l'auteur des romans Sang d'encre (Drawing blood, 1993) et le Corps exquis (Exquisite corpse, 1996), le très féminin maître d'œuvre des anthologies Éros vampire (Love in vein 1 & 2, 1994 & 1997), ainsi que la biographe de Courtney Love. D'autres ouvrages de Poppy Z. Brite ont été traduits après la rédaction de la présente chronique : le roman le Cœur de Lazare (the Lazarus heart, 1998) d'après la BD de James O'Barr et le recueil Self-made man (Are you loathsome tonight?, 1998).

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