Kai Meyer : la Conjuration des visionnaires
(die Geisterseher, 1995)
roman fantastique
- par ailleurs :
On a dû oublier d'en parler à parution. C'est dommage. Même si c'est aux marges des domaines qui intéressent KWS. Et on peut espérer encore le trouver, si les livres ne sont pas exactement le contraire des œufs, donc si on en trouve qui ne soient pas frais du jour.
Pour l'essentiel, c'est un roman historico-littéraire faisant intervenir Schiller, Goethe, les frères Grimm (dont le narrateur), et E.T.A. Hoffmann, le tout en 1805, entre Weimar et Varsovie sous administration prussienne, avec vol du manuscrit de la fin du roman inachevé de Schiller, les Visionnaires, confié par l'auteur sur son lit de mort… D'où poursuites, diligences, empoisonnements, dames mystérieuses, hasards, fausses coïncidences, labyrinthes, sbires, disparitions, enlèvements, poursuites dans des souterrains, cadavres, fausses pistes, et très rapidement difficultés pour savoir qui est qui, qui est dans quel camp, qui trahit. Le feuilleton dans toute sa splendeur, brassant des éléments réels, avec cet aveu indirect de l'auteur, p. 239 : « Vous mélangez toutes ces coïncidences entre elles pour en tirer une théorie invérifiable. »
. Symboles égyptiens, cérémonies bidons impressionnantes, cimetières, dissections, éviscérations, secte des Illuminés luttant au nom de la Raison contre les Rose-Croix, les Jésuites et toute forme de mysticisme — Goethe en fit vraiment partie —, usage de momies pour se tirer d'un mauvais pas, spiritisme, personnage au crâne tatoué de versets bibliques, souvenir de Cagliostro et de ses escroqueries : on est au moins dans le roman noir. Le “marchand de sable”, sadique qui énuclée, éviscère, arrange les tripes en pyramide avec éventuellement un œil de verre au sommet, et met du sable dans les orbites béantes, renvoie encore à Hoffmann.
Le fantastique pur n'est pas loin. Le roman de Schiller pourrait comporter la recette de la pierre philosophale, et même si on est dans un fantastique rationalisé, il faut ajouter une femme qui converse avec les morts — fantastique ou psychopathologie ? —, et, peu rationnalisables, eux, des patriotes polonais qui savent créer des hallucinations, et s'en servent pour perturber les Prussiens. Plus, du côté plutôt du merveilleux, Chantoiseau, château où sont stockés tous les livres du monde, y compris ceux qui ont échappé à l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, et où tous les écrivains viennent un jour ou l'autre chercher l'inspiration, si ce n'est copier des livres antérieurs — ce qui est un nouveau faux aveu sur le roman lui-même, reflet de la littérature allemande romantique ou pré-romantique. On pourrait ajouter une esquisse de commencement de début d'idée d'uchronie lorsque, à propos des Polonais déjà évoqués, il est dit, p. 202, que « si leur stratagème avait réussi, l'Europe eût peut-être échappé à la domination de Napoléon et au bain de sang qui en résulta, et les Prussiens eussent évacué Varsovie »
. Cela justifiera peut-être qu'on parle ici de ce roman, par ailleurs enlevé, efficace, passionnant. Et qu'on en parle malgré sa relative ancienneté, malgré son aspect “littérature générale” ou mixte de littérature feuilletonnesque populaire et de références savantes, malgré notre moindre familiarité en deçà du Rhin avec icelles références, et malgré quelques inconséquences de traduction, dont le fait d'avoir traduit les titres de la courte bibliographie, en donnant les références allemandes de ces volumes qui n'existent d'ailleurs probablement pas en français.
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