KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jean-Marc Ligny : Cosmic erotica

anthologie de Science-Fiction, de Fantastique et de Fantasy, 2000

chronique par Philippe Paygnard, 2000

par ailleurs :

Attention ! Il y a tromperie sur la marchandise. À lire le titre de cette anthologie, on peut s'attendre à découvrir des récits d'aventures spatiales largement agrémentées de galipettes sidérales. Il n'en est rien. Cosmic erotica est un recueil de nouvelles solides, voguant entre SF et Fantasy, avec un brin de violence, un zeste d'érotisme et beaucoup d'amour. Car, sous un titre accrocheur, mais sans grand rapport avec certains textes, Jean-Marc Ligny a réuni dix-sept belles plumes, dont certaines trempées dans le vitriol, dix-sept romancières ou nouvellistes européennes et américaines. Bien plus qu'une anthologie de SF érotique, comme le laisse pourtant supposer le titre, Cosmic erotica est une anthologie féminine — c'est un constat et c'est indiqué en sous-titre. Les nouvelles réunies par Ligny sont presque toutes inédites en France. Les rares rééditions sont des textes étrangers qui bénéficient ici d'une nouvelle traduction. L'ensemble conserve donc une certaine homogénéité de langue (français pré-xxie siècle), car le ton de chacune des nouvelles présentées est résolument différent.

Bien qu'il puisse paraître simpliste, le classement des nouvelles par ordre alphabétique des auteures permet d'éviter de mettre artificiellement en avant l'une ou l'autre des participantes à Cosmic erotica, même si le hasard fait, comme le constate Jean-Marc Ligny dans sa préface, que la première et la dernière nouvelle du recueil parlent toutes deux de la Saint-Valentin, mais de façon fort différente.

Les auteures anglo-saxonnes sont fortement représentées puisque six des textes proposés sont américains ou anglais. Ils offrent une vaste palette allant de la Fantasy jusqu'à la Science-Fiction, en passant par toutes les tonalités du Fantastique. Le texte de Tanith Lee ("la Démone") permet ainsi de croiser un chevalier et une femme-vampire, alors que le récit de Connie Willis ("À mes filles chéries") se situe sur une curieuse station spatiale. Poppy Z. Brite ("le Vin de l'âme") et Kathe Koja ("des Anges amoureux") nous invitent à visiter un quotidien légèrement perturbé par la venue de l'an 2000 pour l'un et par un étrange voisinage. Pat Cadigan la joue rencontre du troisième type dans "Paris en juin", alors que Carol Anne Davis signe, avec "Prix coûtant", un texte capable de faire se retourner Marthe Richard dans sa tombe.

S'il est difficile de trouver une unité de ton dans les textes anglo-saxons, il n'en est pas de même avec les nouvelles italiennes. En effet, les trois auteures transalpines décrivent des futurs plus ou moins proches où il ne fait pas bon vivre et où la violence semble être devenue la règle. Texte d'ouverture du recueil, "la Nuit de la Saint-Valentin" de Gloria Barberi nous plonge dans un monde désespéré où l'amour est violence et destruction, surtout lorsqu'il n'est pas partagé. Les amours évoquées par Nicoletta Vallorani dans "Cybo" sont hantées par le spectre de la maladie, alors que le monde décrit par Barbara Garlaschelli dans "Déchets" ne laisse pas beaucoup de place à l'amour pour les exclus.

L'intérêt des deux textes allemands présentés ne se limite pas à prouver qu'il existe une SF allemande en dehors des Perry Rhodan produits à la chaîne par K.H. Scheer, Clark Darlton et Cie. "Inversion, jeu de miroir" de Birgit Rabisch permet ainsi d'évoquer les dangers du meilleur des mondes où l'amour et la différence n'ont plus leur place, alors que "De la difficulté de traduire les chants d'amour vuliworpes" de Sabine Wedemeyer-Schwiersch, malgré ses atours de space opera, ressemble fort à un joli conte philosophique.

À côté des textes internationaux, la sélection francophone ne fait pas pâle figure, bien au contraire.

Le texte final de Joëlle Wintrebert, "la Femme est l'avenir de l'homme", semble être d'un grand classicisme puisqu'il propose la vision d'un monde sans hommes et sans violence. Pourtant, à la lecture de ce récit, le lecteur peut se demander, en même temps que la narratrice, s'il s'agit bien d'un monde parfait. Pour sa part, Jeanne Faivre d'Arcier joue les cartes de l'uchronie et de la magie exotique pour conter l'histoire de "Monsieur Boum-Boum", alors qu'Anne Duguël et Valérie Simon choisissent de montrer l'animal qui peut se cacher en chacun(e) de nous avec "la Fauve", pour la première, et "le Loup", pour la seconde.

Traductrice des six textes anglo-saxons de Cosmic erotica, Sylvie Denis ose mettre l'excision au centre de sa nouvelle, "Carnaval à Lapêtre". Certes, les excisions du futur, grâce aux progrès des techniques biomédicales, sont moins sanglantes que celle du passé — notre présent —, mais elles restent traumatisantes et d'une barbarie terriblement humaine. La condamnation de tels actes vaut, bien évidemment, tout aussi bien pour le futur décrit dans ce "Carnaval à Lapêtre" que pour le présent bien réel.

Cosmic erotica ne déroge pas à la tradition. Toute anthologie digne de ce nom se doit de présenter le premier texte d'un auteur débutant et talentueux. C'est Sara Doke, bien connue des lecteurs de Phénix, qui s'y colle avec "Miroir de mon âme". Un récit qui n'a rien de cosmique, puisqu'il s'agit plutôt de Fantasy, mais dont l'érotisme est bien réel au-delà des mots.

Cosmic erotica n'est pas une œuvre légère comme pourrait le laisser penser son titre, c'est un ensemble de textes qui donnent à réfléchir. Certaines des nouvelles qui composent ce recueil osent ainsi aborder, directement ou par la bande, des sujets dramatiques, des thèmes forts, car ils touchent à l'intégrité de la personne. L'excision, le viol, la prostitution, l'inceste sont ainsi évoqués ou franchement abordés dans les textes de Cosmic erotica sans que le lecteur ait l'impression de lire un quelconque manifeste. De la belle ouvrage.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 36, mai 2000

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.