Sabine Jarrot : le Vampire dans la littérature du xixe au xxe siècle
essai, 1999
- par ailleurs :
À l'occasion du centenaire de Dracula, les études sur le vampirisme se sont multipliées. L'engouement, certes, s'est quelque peu apaisé, mais l'on continue de voir paraître régulièrement monographies et collectifs ressassant, avec plus ou moins de bonheur, les mœurs de la gent hématophage. Au cours des derniers mois 1999-2000, on a par exemple pu lire Visages de vampire, dirigé par Barbara Sadoul, Vampire : portraits d'une ombre, sous la direction de Léa Silhol, Histoire des Vampires : autopsie d'un mythe de Claude Lecouteux. Et voici aujourd'hui à l'Harmattan un ouvrage de Sabine Jarrot, docteur en sociologie que l'on a, entre autres, remarquée au sommaire de la Littérature et les arts, véritable monument quadripartite orchestré par Florent Montaclair dans le cadre de l'Unesco.
Comme on pouvait s'y attendre, l'auteur propose une approche sociologique de la figure vampirique sous-tendue par la conviction que le social peut éclairer l'œuvre d'art et que, réciproquement, l'œuvre d'art permet d'expliquer le social. S'il semble difficile de remettre en cause les fondements de cette étude diachronique, on s'interroge sur les raisons qui ont poussé Sabine Jarrot à réduire de la sorte le champ de son exégèse. Elle scrute en effet les mutations subies par les vampires littéraires depuis le xixe siècle, mais limite son propos à quatre malheureuses caractéristiques : narration, statut social, apparence physique, moyens de protection et de destruction. Pour donner la juste mesure de cette métamorphose, il aurait, au minimum, fallu examiner en outre son âge, ses pouvoirs, son mode de nutrition, sa sexualité, son caractère, sa moralité, son potentiel humoristique, sa rationalisation ainsi que ses spécificités dans la littérature jeunesse. En restreignant la discussion aux quatre points sus-évoqués, Sabine Jarrot se contente d'enfoncer des portes ouvertes. Si encore on avait droit à un honnête de travail de compilation, mais ce n'est pas le cas : on note, ci et là, quantité d'erreurs et d'approximations indignes d'une spécialiste.
Certaines amusent, comme lorsque l'auteur écrit (p. 10) : « En feuilletant simplement les premières pages d'un roman paralittéraire, on sait immédiatement à quel registre il appartient (roman de Science-Fiction, roman sentimental…) »
. Il est permis de se demander si Sabine Jarrot lit beaucoup de romans populaires ! Prenons par exemple les Faiseurs de crimes d'Eric Frank Russell, paru dans une collection “noire” : le récit débute à la manière d'un polar (Bransome, a priori coupable de meurtre, fuit la police), se transforme en roman d'espionnage (il devient la cible d'agents secrets étrangers) et s'achève sur une hypothèse conjecturale (le héros n'a commis aucun crime ; Bransome est, à l'instar d'une kyrielle de savants employés par la Défense, le jouet de manipulations mentales). Il est nécessaire d'attendre les dernières pages pour déterminer la nature science-fictive du roman…
Mais d'autres incongruités prêtent moins à sourire. Ainsi, lorsque Sabine Jarrot affirme que le genre Fantastique est apparu au xixe siècle (p. 71), on s'interroge sérieusement sur sa culture littéraire : que fait-elle du Château d'Otrante de Walpole (1764), du Diable amoureux de Cazotte (1772), de Vathek de Beckford (1786), du Moine de Lewis (1795) ? Il est vrai que les questions génériques semblent lui passer au-dessus de la tête. Elle écrit : « Aujourd'hui, les termes de merveilleux, de fantastique et de surnaturel sont plus ou moins interchangeables. »
(p. 74). Alors que c'est exactement le contraire qui s'est produit : ces termes, substituables autrefois, désignent désormais des réalités qu'aucun critique sérieux ne saurait amalgamer !
Aussi ne s'étonne-t-on guère de voir l'auteur reproduire un peu plus loin, sans la discuter, une assertion plutôt idiote de Roger Caillois : « Le Fantastique est postérieur à la féerie et, pour ainsi dire, la remplace. »
(p. 75). Le Fantastique ne “remplace” pas la féerie. Il suffit de visiter une librairie ou de consulter le prodigieux catalogue de l'Harmattan pour s'assurer de la survivance du Merveilleux : les deux genres coexistent, sans viser spécialement le même public, sans user des mêmes stratégies et sans répondre aux mêmes finalités.
Est-il besoin d'ajouter que Sabine Jarrot confond allégrement Science-Fiction et Fantastique : « La thématique de l'altérité n'est pas spécifique aux textes de vampire, elle est présente, à la même époque, dans la plupart des récits fantastiques. Ainsi la créature de Victor Frankenstein représente un haut symbole d'altérité derrière lequel se profile le problème de la dualité de l'être humain. Altérité et dualité sont voisins et souvent associés comme c'est le cas, par exemple, dans l'Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr. Hyde et dans le Portrait de Dorian Gray. »
(p. 182).
On pourrait croire que Sabine Jarrot maîtrise mal le Fantastique, mais domine mieux la question vampirique. Et pourtant…
Elle attribue par exemple les Histoires de vampires publiées en 1961 chez Robert Laffont à Roger Vadim, alors qu'il s'agit d'une anthologie composée et annotée par Ornella Volta et Valerio Riva : le réalisateur de Barbarella se contente de signer la préface ! Elle certifie (p. 93) que Prism of the night: a biography of Anne Rice de Katherine Ramsland n'a jamais été traduit en français alors qu'une traduction de cet ouvrage est parue chez Lefrancq en 1997 sous le titre Anne Rice, la reine des vampires ! On a du mal à croire qu'une “spécialiste” ait pu passer à côté de cet ouvrage largement signalé dans la presse et publié par un éditeur bénéficiant d'une bonne diffusion dans l'Hexagone…
Sabine Jarrot estime que « le vampire est dès son origine lié au christianisme »
(p. 149), ce qui est extrêmement contestable. La crainte de créatures vampiriques est bien antérieure à l'apparition de la foi chrétienne et se retrouve, à travers le globe, chez maintes peuplades non christianisées. Mais l'essayiste ne semble pas très au fait du folklore vampirique antérieur au xviiie siècle, comme en témoigne l'inconsistant passage qu'elle consacre aux striges.
En fin de volume, Sabine Jarrot explique de curieuse manière l'engouement du public pour les hématophages : « occultisme, magie noire, télépathie, sorcellerie et exorcisme font de nouveaux adeptes. Dans ce contexte, il n'est donc pas étonnant de découvrir un regain d'intérêt pour les vampires »
(p. 177). L'auteur semble oublier que l'écrivain de Fantastique n'affirme pas le vampire. Pas plus que l'écrivain de Science-Fiction n'affirme l'extraterrestre ou l'OVNI. L'un est l'autre invitent leur lecteur à une “expérience mentale” pour reprendre une expression consacrée par Darko Suvin. Poussons le raisonnement de Sabine Jarrot et nous admettrons aussi sec que c'est parce que de plus en plus de gens s'intéressent à l'ufologie et aux abductions que l'on vend des livres de SF ! Il existe très peu de romanciers de Science-Fiction versés dans les délires soucoupistes et je ne connais aucun écrivain de Fantastique convaincu de l'existence des vampires.
Tout cela pour montrer que le buveur de sang est une figure de moins en moins marginale : on croit rêver ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, Jean Marigny dans un article peu ancien(1) disait davantage sur le sujet en neuf pages — certes bien remplies — que Sabine Jarrot en deux cent vingt-quatre. Si cette dernière l'avait consulté, elle aurait sûrement fait l'économie de ce livre…
- "Les Métamorphoses littéraires du vampire au xxe siècle" dans Antarès, nº 46, deuxième trimestre 1994.↑
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