Poppy Z. Brite : Éros vampire 2
(Love in vein 2, 1997)
anthologie d'Horreur
- par ailleurs :
Après le succès d'Âmes perdues, Poppy Z. Brite avait pratiquement juré à ses fans fort déconfits qu'elle n'écrirait plus d'histoires de vampires. Elle avait tenu promesse, ne dérogeant à cette règle qu'en coordonnant l'anthologie Éros vampire où elle avait sélectionné vingt textes sulfureux, mêlant sang et sexe. Ce premier recueil lui avait permis de réunir vingt-deux nouvellistes, qu'il s'agisse de romanciers confirmés comme Gene Wolfe ou Thomas F. Monteleone, ou bien d'auteurs à découvrir à l'instar de David B. Silva ou de Christa Faust. Bien évidemment, tout n'avait pu être dit en un seul volume ; il restait d'autres textes et d'autres approches du monde de la nuit dans les tiroirs de Poppy Z. Brite. Il était donc normal qu'un second volume d'Éros vampire ait vu le jour.
Comme dans le premier opus, Poppy Z. Brite, discrètement épaulée par Martin H. Greenberg, a choisi la mixité. On rencontre ainsi au sommaire d'Éros vampire 2 quelques noms bien connus, d'autres déjà entrevus et certains complètement inconnus. Au total, ce sont dix-huit textes et dix-neuf auteurs qui se trouvent ainsi au rendez-vous d'un recueil, comme le premier, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Responsable du texte d'ouverture de ce volume, Neil Gaiman fait partie de la première catégorie d'auteurs, ceux que l'on connaît et que l'on reconnaît. Son parcours dans le monde de la bande dessinée (Sandman), ses détours par la télévision (Babylon 5) et ses crochets par la littérature (Neverwhere) permettent de situer immédiatement l'homme. Son texte, "Neige, miroir et pommes", ne doit pas être résumé sous peine de lui faire perdre tout effet de surprise, mais il s'agit d'une fort intéressante variation, à l'humour très British, sur un thème bien connu.
Pour sa part, Caitlín R. Kiernan entre plutôt dans la catégorie des auteurs peu connus. S'inscrivant dans la même mouvance que Poppy Z. Brite ou Christa Faust, elle joue ici au jeu des références dans une nouvelle intitulée "Question d'affaire". À noter que le titre original de ce récit, "Bela's plot", est beaucoup plus explicite que sa traduction/adaptation française.
Si ces deux textes, comme tous les récits d'Éros vampire 2, ont en commun une évidente référence au sexe, ils ne font pas tous appel à des héritiers de Dracula.
Ainsi, le vampire que présente Christopher Fowler dans "les Armées du cœur" n'est pas un prédateur avide de sang. Il s'agit plutôt d'une victime absorbant la douleur et la violence des autres. Pourtant, ce récit est l'un des plus intéressants du recueil car il donne à réfléchir.
À l'image de Fowler et comme le souhaitait Poppy Z. Brite (cf. l'introduction du premier volume d'Éros vampire), certains inventent de nouvelles sortes de vampires dont la nourriture n'est plus uniquement le sang de leurs victimes. Ces nouvelles créatures de la nuit se nourrissent de l'intimité de leurs proies, leurs souvenirs, leurs passions, leurs souffrances, leurs rêves ou leur âme. En bref, comme le disait si bien Brite, « des créatures qui se nourrissent de la force vitale de leur prochain »
.
Thom Metzger ("le Labo"), David Niall Wilson ("les Liaisons subtiles"), Roberta Lannes ("Lorsque la mémoire fait défaut"), Janet Berliner & George Guthridge ("l'Œil du ver"), David J. Schow ("En époussetant les fleurs"), Thomas S. Roch ("le Privilège du mort") et Nicholas Royle ("Kingyo-rabat-joie") nous invitent à découvrir ces nouvelles races de vampires.
D'autres suivent à la lettre les spécifications de l'anthologie et offrent, avec plus ou moins de bonheur, du sexe et du sang. C'est le cas d'O'Neil De Noux avec "Ces soupirs que l'on entend dans les cimetières", sans surprise, et de Lucy Taylor avec "les Dômes sous le ciel" et son retournement de situation inattendu. Dans "la Lumière rouge sang", Stephen Mark Rainey laisse planer un doute sur la créature, réelle ou imaginaire, qui fait passer son personnage de l'autre côté du miroir. Quant à Jean-Daniel Brèque, traducteur de la majorité des écrits de Poppy Z. Brite en France, il nous fait visiter, dans "Stigmates", un cimetière du Père-Lachaise qui accueille de bien étranges visiteurs. Alors que le vétéran de l'Horreur qu'est Richard Laymon livre un récit d'une grande légèreté de ton qui conte les premiers émois de deux adolescents. Rappelons qu'il est toujours utile de se protéger, surtout "la Première fois". Sans oublier Pat Califa qui nous permet d'assister à l'affrontement entre une suceuse de sang et une suceuse de cerveaux dans "Je ne vais pas bien… je vais mieux !".
Mais, plus encore que Poppy Z. Brite, c'est Brian Hodge qui fait le lien entre les deux Éros vampire. Déjà présent au sommaire du premier volume avec "l'Alchimie de la gorge", il revient ici avec "le Vin qui s'écoule des outres percées". Au castrat italien de sa première nouvelle succède un stigmatisé irlandais qui embarrasse fort l'Église. Par bien des aspects, ce texte peut paraître blasphématoire. Il n'y a qu'à admirer la terrifiante et bien peu catholique Trinité composée d'une buveuse de sang, d'une mangeuse de sperme et d'une dévoreuse de chair. Cependant, les attaques contre la religion, aussi réelles soient-elles, ne peuvent cacher la dénonciation de toutes ces guerres qui mêlent politique et religion, et au-delà, de toutes les guerres. Au final et malgré une certaine lenteur, "le Vin qui s'écoule des outres percées" est l'un des textes forts de cette anthologie. Il crée une ambiance angoissante à souhait et maléfiquement désespérante.
Combinant signatures connues et débutants plein d'allant, Éros vampire 2 est une anthologie dont la diversité de ton et la variété de style permettent de ne s'ennuyer à aucun moment. Certes, les amateurs de vampires classiques peuvent être déçus car un bon nombre des récits proposés font appel à des créatures qui n'ont pratiquement rien à voir avec le comte Dracula et sa lignée. Mais il est certain que tous ceux qui ont apprécié le premier volet d'Éros Vampire seront naturellement séduits par cette seconde livraison. Les monstres, humains ou inhumains, qui hantent ce recueil savent très bien, par la grâce de leur créateur, faire naître des sentiments de peur, de dégoût et, parfois, de compassion à la simple lecture de leur histoire. L'essentiel est là.
Sur un plan plus pratique, on peut cependant regretter l'absence de toute introduction signée de la maîtresse d'œuvre de l'ouvrage (Poppy Z. Brite). On peut également s'étonner de l'omission d'un sommaire permettant de naviguer à son aise à travers les pages de ce recueil. Enfin, on pourrait se plaindre de l'oubli de l'indispensable dictionnaire des auteurs qui permet, lorsque l'on a apprécié un texte, de se lancer à la recherche d'autres écrits de la même eau ou, comme ici, du même sang. Mais l'on ne peut qu'apprécier la couverture travaillée de Fabrice Lavollay, bien plus dans le ton de l'ouvrage que celle de l'édition originale chez HarperCollins.
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