KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

David Ambrose : Superstition

(Superstition, 1997)

roman fantastique et de Science-Fiction

chronique par Dominique Warfa, 2000

par ailleurs :

Voici un livre qui laisse une impression dérangeante. Si le récit ne trahit à aucun moment ses prémisses, et si son enchaînement souscrit à l'inéluctabilité de mise dans le genre, il demeure un malaise quant aux intentions exactes de l'auteur sur un point précis : le statut et les pouvoirs de la science. Mais n'anticipons pas…

Pour les amateurs de micro-étiquettes, David Ambrose crée avec Superstition le récit de revenant croisé de paradoxe temporel ! L'auteur tient à nous prévenir que des expériences “parapsychiques” telles que celle qui noue l'intrigue du roman ont bel et bien été menées : le début du récit semble jouer la carte critique face aux phénomènes psy, puisque Joanna Cross, journaliste d'investigation new-yorkaise, semble mener un combat sans merci face aux escrocs abuseurs de crédulité et abjects manipulateurs du malheur des autres. De même, Roger Fullerton, le physicien que Sam Towne convainc de participer à l'expérience qui va tout faire basculer, donne-t-il l'impression d'un croisé rationaliste faisant flèche de tout bois face aux charlatans qui pensent avoir le droit de mélanger Tao et quanta.

Le psychologue Sam Towne prétend que tout phénomène psy trouve sa source dans l'esprit humain et non dans un supposé au-delà. Il s'appuie bien entendu sur la tarte à la crème des effets poltergeist liés à la puberté — coucou, Carrie ! Son laboratoire travaille en ce sens : montrer l'évidence des pouvoirs du psychisme (individuel ou collectif) et décrire enfin le processus gouvernant télépathie comme psychokinèse. Du sérieux, du rationnel, de l'universitaire… L'expérience à tenter est évidente : si l'esprit humain peut faire survenir quelque chose qui n'a pas d'existence, pourquoi ne pas réunir quelques volontaires et tester ce potentiel de manière dirigée ?

L'équipe de Sam, qui intègre Joanna, Fullerton et quelques autres, se propose de créer de toutes pièces un fantôme, allant jusqu'à vérifier dans l'Histoire qu'aucun personnage même peu connu ne puisse correspondre à cette biographie imaginaire. Ce sera Adam Wyatt, aventurier américain, familier de La Fayette et pris dans la tourmente révolutionnaire en France. Et tout s'enchaîne très vite, trop vite sans doute aux yeux du lecteur demeuré, lui, trop rationnel… Adam “naît” et se manifeste : cognements, objets qui bougent, questionnaire à base de ouija.

Toute cette première partie est parfois laborieuse et parfois ridicule : comment convaincre un physicien indigné de se prêter à un test en parapsychologie ? En lui exhibant les jambes de votre petite amie… Il s'agit d'une mise en place. L'amateur de suspense se doute déjà qu'Adam ne va pas se contenter de reproduire les comportements qu'en quelque sorte on “attend” de lui, et qu'il va échapper à ses créateurs. Classique motif, et dès lors le rythme du roman est trouvé : on progresse au fil des phénomènes étranges que relèvent Sam et Joanna, puis des événements tragiques qui ponctuent l'expérience (principalement la mort de certains participants).

L'un des membres de l'équipe a dessiné Adam : Joanna va le retrouver tel quel dans une gravure d'époque. Nul ne l'a jamais rencontré durant ses lectures : des livres le mentionnent soudain. Jusqu'à ce que Joanna bute sur sa tombe et rencontre l'un de ses descendants ! Ici, pas de trop gros effets du genre grand-guignol : Ambrose se montre sobre, sachant combien il suffit de solliciter la subtilité pour toucher l'émotionnel. Les morts ne seront pas trop sanglantes, les manifestations du revenant demeureront compatibles avec des phénomènes déjà décrits par ailleurs. Enfin, l'évidence est là : Adam Wyatt acquiert une présence et refuse d'être renvoyé au néant d'où l'imaginaire de l'équipe l'a tiré. La scène est construite pour un dénouement tragique, où Sam Towne devra admettre que les pouvoirs de l'esprit, s'ils existent, ne sont guère maîtrisables — jusqu'à se trouver confronté à un double de Joanna Cross, auteur d'un essai consacré à Adam…

Tel est l'inéluctable : tout comme une logique primitive — et sans doute les lois de la thermodynamique — veut qu'un même individu ne puisse se trouver à plus d'une reprise au même endroit et en même temps, l'existence des participants à l'expérience de Sam dans un monde où Adam Wyatt a réellement existé n'est plus possible. Il y a conflit entre un personnage devenu historique et nanti de sa propre descendance, et ceux qui demeurent persuadés de l'avoir totalement imaginé. Si l'énergie psychique — quelle qu'elle soit — a incarné Adam, ce sont donc ses “créateurs” qui doivent lui laisser le champ libre, et disparaître petit à petit. L'univers créé, forcément parallèle à celui du groupe d'expérimentateurs — puisque contenant des individus auparavant “inexistants” —, supplante l'univers créateur. Si je retourne dans le passé et que je m'y rencontre, lequel est de trop ? À peine troublé par une instabilité, l'univers doit revenir à son état d'équilibre.

Mais d'où viendrait le malaise, dans cette histoire somme toute assez classique ? Il gît dans le glissement vers l'indécidable qui anime le roman : à l'image d'une certaine vulgarisation — peut-être facile et fallacieuse — des théories quantiques, le statut de la connaissance régresse au fil des pages, abandonnant certaines évidences (le monde des médiums est peuplé d'escrocs) pour voir redire — et par un physicien d'abord sceptique ! — que rien n'est sûr et certainement pas les réponses de la science. Tout peut donc être avancé, même les pires énormités, sans jamais pouvoir être réfuté ! Si les constructions théoriques de la science sont les excuses que s'invente l'Homme face à l'inconnaissable univers “réel”, alors tout vaut tout et il ne peut exister de “fausses” sciences. Le danger est évident : les sciences qui prétendent décrypter des lois naturelles et universelles deviennent donc inutiles ; autant les remplacer par la magie et virer les prix Nobel au profit des diseuses de bonne aventure… L'univers serait ontologiquement irrationnel ? Malaise, malaise… Les progrès scientifiques n'aboutiraient qu'à faire tourner les tables ? Malaise…

Dominique Warfa → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000

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