Robert J. Sawyer : Calculating God
(Calculating God, 2000)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Quand les extraterrestres atterrissent,(1) ils ne demandent pas à être conduits au chef mais au paléontologue : toutes les planètes habitées de notre région de la galaxie portent les traces d'extinctions massives des espèces vivantes autour des mêmes dates à peu près, et ils veulent étudier les traces fossiles conservées à ce sujet par la planète Terre. Les extinctions massives (comme celle qui a mis fin au règne des dinosaures il y a soixante-cinq millions d'années) sont pour eux un témoignage de plus du travail du Créateur, dont les œuvres sont visibles dans mille et un détails de la structure de notre univers, trop parfaits pour être aléatoires.
Le paléontologue, Tom, travaille au Royal Ontario Museum (ROM) à Toronto. Tom est un athée convaincu, endurci par de nombreuses batailles publiques contre les créationnistes de tout poil, et empli d'amertume et de désespoir par sa situation médicale (un cancer du poumon en phase terminale, alors même que son fils unique n'a encore que six ans). Pourtant, il doit se rendre à l'évidence : Dieu, ou du moins un Créateur tout-puissant, est incontournable, même s'il ne semble pas prendre un intérêt extrême au destin individuel de ses créatures, ni leur assurer une vie après la mort.
Il y a quelque chose d'asimovien dans les deux livres de Sawyer que j'ai lus, celui-ci et Mutations (1997) : il se lit facilement, très vite en fait, grâce à une écriture sans recherche de style, utilitaire au point parfois de lasser jusqu'à un lecteur aussi sourd au style que je peux l'être. Les deux livres sont truffés de passages de vulgarisation, souvent couchés sous forme de dialogues philosophico-scientifiques entre les personnages, et ce choix de matière se prête fort bien à l'écriture et à la lecture rapides. Enfin, les portraits psychologiques des personnages sont taillés à la serpe, au point de friser parfois la caricature. (Je pense aux remarques sur la franco-canadiannité du protagoniste de Mutations, Pierre Tardivel ; l'excuse de Sawyer doit être qu'il est Canadien anglophone…)
Le refus des critères de qualité de la littérature romanesque dominante peut être un choix délibéré de la Science-Fiction, un choix qu'elle a opéré de façon plus ou moins consciente tout au long de son histoire. Dans le cas de Sawyer, je ne peux m'empêcher de penser que ce choix va trop loin, ou peut-être que l'auteur, très prolifique,(2) ne prend pas le temps de penser suffisamment ses livres. On serait en droit, dans le cadre d'un ouvrage propulsé par l'action et le suspense, de s'attendre à un dosage des événements et de leur effet ; hélas, l'intrigue secondaire d'action violente qui est plaquée de façon bien inutile sur le fil principal que constitue la visite des extraterrestres se conclut presque aussi vite qu'elle s'était mise en route, aux deux tiers du livre. Quant aux retournements d'importance cosmique que semblait promettre l'ouverture du livre (Dieu, la Science et la Galaxie vus par le prisme des collections de fossiles, pas moins), ils viennent, mais tellement tard qu'on a l'impression de commencer un autre livre — qui se termine trop vite, sans tenir non plus toutes ses promesses. Et l'explication des extinctions massives ? Elle arrive, sous forme conjecturale, mais est finalement assez vite oubliée.
On pourrait se rabattre sur l'aspect roman d'idées du livre, sur les spéculations philosophico-épistémologiques auxquelles il se livre. Hélas, si Sawyer a absorbé beaucoup de documentation intéressante, il la colle dans son texte d'une façon qui révèle trop honnêtement ses sources (visiblement les ouvrages de vulgarisation qu'il cite abondamment). Tom, responsable des collections de fossiles vertébrés au ROM, est naturellement en contact avec les vedettes de la vulgarisation scientifique qui sont invitées à donner des conférences dans son musée ; mais le portrait fait de Tom Jericho ne me donne pas le sentiment d'un chercheur engagé dans le développement de son domaine. Nous ne manquons pas désormais d'écrivains de SF qui peignent un portrait exact de l'activité scientifique, Benford bien entendu, mais aussi Hilbert Schenk, John Cramer, Rudy Rucker et même Paul Preuss ; Sawyer, s'il connaît beaucoup de résultats scientifiques (notamment en ce qui concerne la génétique), ne semble pas s'être familiarisé avec le processus compliqué — et bien mal fichu — qui mène à ces résultats.
Sawyer se rattrape-t-il sur la transcendance ? Curieusement, dans un roman qui parle de Dieu, j'ai beaucoup moins senti la terreur sacrée que, disons, dans des œuvres d'Arthur C. Clarke ou de Gene Wolfe. Peut-être parce que le Créateur de Sawyer ne se préoccupe pas outre mesure de vie après la mort — alors que, comme dans Mutations soit dit en passant, le protagoniste est atteint d'une maladie incurable et sait que ses jours sont comptés — ; peut-être parce que le ton du livre, qui parle beaucoup de Dieu, n'évoque guère la transcendance. Il aurait fallu aussi éviter des détails aussi lourdauds que le nom du protagoniste (Thomas David Jericho : l'incroyant aura les oreilles débouchées par les trompettes !). Et les discussions philosophiques restent sans cesse sur un terrain bien balisé, sans idée surprenante, une sorte de cours de première année dilué.
Une déception donc ; avec bien des atouts en main (documentation, idées de départ très accrocheuses, grande lisibilité), Calculating God a échoué à me séduire, pour cause de manque de profondeur.
- Dans ce qui est encore notre futur proche, puisque les élections canadiennes de fin novembre 2000 ont permis à Jean Chrétien de conserver le poste de premier ministre qu'il occupe depuis plusieurs années au Canada, et dans le roman.↑
- Consultez son site web surabondant, <http://www.sfwriter.com/>, qui témoigne de l'étonnante autosatisfaction de l'auteur (ne serait-ce que par le nom qu'il s'est arrogé, comme s'il était seul représentant de la catégorie “écrivain de SF”… Il existe bien un site <http://www.sfwriters.com/>, au pluriel, mais celui-là est ou sera consacré aux écrivains… de San Francisco !)↑
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.