Robert Charles Wilson : Darwinia
(Darwinia, 1998)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Un beau jour de 1912, une vaste calotte du globe terrestre englobant à peu exactement l'Europe est instantanément remplacée par son exacte image au plan géologique — peuplée d'une biologie totalement inconnue sur Terre jusqu'alors. En particulier, plus trace d'Hommes ou de civilisation sur cette nouvelle Europe. On imagine l'onde de choc géopolitique dans un monde encore dominé par le Vieux Continent ; que Wilson (Robert C., pas Woodrow !) ait choisi une date à l'apogée de l'ère coloniale et à la veille des massacres et des destructions du premier conflit mondial ne doit évidemment rien au hasard. À partir de leurs dominions et de leur marine, les Britanniques tentent de reprendre pied sur le sol ancestral transformé en jungle. Mais seuls les Américains ont conservé la base industrielle permettant de soutenir un effort sérieux d'exploration et d'exploitation de ce… nouveau monde, en suivant la doctrine édictée par le président Wilson (Woodrow, pas…). Rien n'est dit d'éventuels sursauts de décolonisation en Algérie, par exemple ; le fantasme reste purement américain.
Reconnaissons que la politique, si elle est présente, n'est pas non plus le sujet principal du livre. La transformation massive et instantanée de la face du monde interroge plutôt les scientifiques, et permet au clan des créationnistes américains de prendre le pouvoir dans les universités, confortés par la présence du “Miracle”. Là encore, le fantasme — horrifique, en l'occurrence — est bien américain — l'interprétation littérale des Écritures ne bénéficie pas en Europe des mêmes lobbies qu'Outre-Atlantique, où le créationnisme est une force minoritaire mais encore hélas redoutable.
Quelques années après le Miracle, Guilford Law, qui commence une carrière prometteuse de photographe de la nature, accepte de se joindre à l'expédition Finch, sorte de voyage de Lewis & Clark à rebours — puisqu'il s'agit de remonter le cours du Rhin et les cols des Alpes suisses. En dépit de la méfiance qu'inspire à sa jeune épouse un projet aussi risqué. Elle n'aura guère tort… et tout au long du livre, la vie familiale de Guilford — plusieurs fois recommencée — tournera au désastre. Au fur et à mesure qu'il comprend la vraie nature du monde dans lequel il vit.
Car s'il entame son livre par un Miracle et passe des chapitres entiers dans des péripéties aventures en pleine jungle — ce qui doit justifier les références à Edgar Rice Burroughs faites en couverture de l'édition de poche américaine (Tor, 1999) —, Robert Charles Wilson a écrit un livre de pure SF, qui ne se départit jamais d'un point de vue rationaliste et explique le Miracle (attention ! gâche-suspense !) par les avanies d'un univers virtuel. Ce qui peut poser problème : savoir qu'on est dans le virtuel réduit le poids dramatique des avanies subies par le héros, qui semblent bien réelles, sont décrites et vécues comme telles ; et il n'est jamais très convaincant à mon goût, dussé-je passer pour un hérétique en l'Église de Saint William Gibson, de ramener les luttes de nature informatique, jouées sur des astuces de code ou de matériel — et bien difficiles à expliquer au profane ou à rendre vraisemblables dans le cadre d'une technologie future — au simple résultat d'une sorte de jeu vidéo grandeur nature.
En dernière analyse, tant au niveau du temps occupé durant la lecture que de la facilité à se mettre dans la peau des personnages, ce sont les séquences se déroulant au sein de l'univers virtuel, décalque de notre histoire, à quelques dieux, monstres et continents substitués près, qui laisseront l'impression la plus marquante au lecteur. À celui qui vous parle, en tout cas. Et à ce niveau, R. C. Wilson fait un excellent travail. Guilford Law est un personnage complexe, dévoré par la contradiction entre son goût pour l'aventure (et le cliché qui pourrait le rendre célèbre) et ses devoirs conjugaux et paternels, puis observateur terrifié mais toujours lucide d'une lutte qui le dépasse mais dans laquelle il est un pion essentiel — oui, ça rappelle des choses, et finalement, la quatrième de couverture qui en appelle aux mânes de Van Vogt n'est pas si loin du but, mânes de Burroughs nonobstant. Wilson s'offre même le luxe d'une intrigue secondaire mettant en scène deux personnages peu recommandables. Pas vraiment nécessaire à l'intrigue, mais l'occasion de plonger un peu dans les tréfonds de l'âme humaine, celle de Guilford étant décidément trop limpide pour le plaisir littéraire.
Bref, Wilson continue à faire la preuve de son imagination et de son talent. Darwinia a été remarqué (finaliste du Hugo), et sans être un chef-d'œuvre, sans explorer beaucoup par exemple les ramifications intellectuelles d'un bouleversement de la théorie de l'évolution — pour ça, allez voir un autre Darwin, celui de la radio, à la maison Greg Bear —,(1) c'est un livre authentiquement original, et distrayant sans défaillance.
- Voir ma chronique de Darwin's radio/l'Échelle de Darwin.↑
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