Keep Watching the Skies! nº 45, octobre 2002
Laurence Cossé : le Mobilier national
roman de littérature générale en relation avec la Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial
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Il s'en faudrait de peu que ce soit de la S.-F.. Un énarque du ministère de la Culture, bouffé par son boulot jusqu'à en lasser définitivement son épouse, et courant perpétuellement après les crédits pour le Patrimoine, imagine de liquider la plupart des cathédrales de France, éternels aspirateurs à fric, intouchables, sacrées, quand bien même ce ne sont que des collages invraisemblables, des pastiches du xixe siècle, néo-gothiques quand ce n'est pas néo-byzantins, bref d'approximatives horreurs qui pour la moindre réfection absorbent de quoi retaper bien d'autres monuments, châteaux abandonnés, miracles architecturaux, futures ruines oubliées. Mais pas sacrées. D'autres auraient volontiers la même idée, mais lui, il décide de passer à l'action. Contre cent d'entre elles. Ce qui en épargne tout de même soixante-dix, celles qui ont un réel intérêt, d'Albi à Chartres. Quelques rencontres, une richissime Sud-américaine attachée aux vieilles pierres, un condisciple de Sciences-Po efficacement reconverti, un dîner mondain, un colloque de Regy Debrais, une secrétaire fluo, des cafés et les palais de la République complètent le tableau. Lequel tableau est souvent réjouissant, si on veut bien passer sur une tirade conne, poujadiste et allégresque — double pléonasme, certes — sur les instituteurs. Et certains effets d'énumération, ou de brève fausse cuistrerie vraiment canularesque, pourraient faire penser à un Pierre Stolze qui se serait spécialisé sur les monuments du moyen-âge occidental. Le tout au service d'une politique-fiction que l'on fera un peu vite passer pour une satire du néo-libéralisme, alors même qu'elle parle de tout autre chose, car il ne s'agit évidemment pas, même si l'idée en est agitée un instant, de refiler les bâtiments au privé, mais d'une politique-fiction toute de même, et qui donne (p. 149-150) une définition bien intéressante de la démocratie.
Mais ce n'est pas de la S.-F. Parce qu'on s'arrête sur le pas de la porte. Juste quand tout va commencer, quand le personnage principal part pour Genève, pour se mettre à l'abri avant que tout ne se déclenche. Et avant que les deux dernières pages achèvent le roman en un ultime pied de nez. D'une certaine façon, on est du côté du fantastique, où l'irruption de l'impossible se résorbe sans conséquences collectives, même quand ce n'est ni sans dégâts ni sans cicatrices. On est du côté du mainstream. De la littérature blanche. Mimétique. Avec ses timidités. Ses impossibilités. Son recul face au délire logique, même quand elle en pose toutes les bases. Il n'empêche que c'est bien intéressant. Même pour nous. Même ici. Du fait des traces de quelque chose qui, ailleurs, aurait pu éclore. Et s'ajouter encore aux qualités littéraires propres à ce roman.