Keep Watching the Skies! nº 45, octobre 2002
Jamil Nasir : la Tour des rêves
(Tower of dreams)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Un livre qui sort en novembre 2001, avec pour thème de fond le choc des mentalités entre Occident et monde arabe, et le mot "tour" dans le titre : l'éditeur ne s'est même pas rendu compte de la chance qu'il a laissé passer de coller en quatrième de couverture un texte racoleur sur les tragiques événements survenus peu avant… qui, du coup, semblent prédestinés dans l'inconscient collectif autant que réalisés, presque par un coup du destin, dans l'actualité physique.
Venons-en au livre, quand même. Futur proche, et pas grand-chose n'a changé dans le monde : les miséreux s'entassent toujours plus nombreux dans des bidonvilles aux franges des métropoles du Tiers-Monde ; les adolescents du monde entier s'envoient en l'air au gut-thump, mélange de musique et de drogue ; il y a pour les riches des limousines volantes qui permettent d'aller de l'aéroport à la tour d'appartements de luxe en survolant la foule crasseuse — l'usage d'hélicoptères-taxis, en fait, a déjà commencé à Sao Paulo, dans notre monde. Seul élément audacieusement spéculatif du roman : les Images issues de l'inconscient collectif peuvent être captées en rêve par des professionnels, doués, entraînés, munis de l'équipement idoine… et employés par des multinationales qui utilisent le fruit de leur travail pour composer des publicités psychoactives et imparables.
Il y a dans le concept un fort goût de psychosphère et d'archétypes incarnés — quoique je doute que Nasir ait lu Roland Wagner —, ou des mythagos de Robert Holdstock. Et, comme chez Holdstock finalement, les Images de Nasir sont attachées à la terre, c'est-à-dire à des secteurs géographiques qui ont une certaine unité culturelle ; mais elles peuvent être exportées, et c'est le job des prospecteurs américains d'aller les trouver un peu partout dans le monde pour les rapporter à leur société.
Blaine Ramsey travaille pour la société Ikôn, et ses origines partiellement arabes — à l'image de l'auteur, dont le père est un Palestinien émigré aux USA — lui valent d'être envoyé en prospection dans le monde arabe. C'est alors qu'il prospecte en Jordanie qu'il rêve d'une Image particulièrement forte, accompagnée d'hallucinations diurnes — inhabituel et inquiétant —, qui se révèle être à l'effigie d'une célèbre actrice de télévision égyptienne. Et voilà Blaine, en congé précipité, prenant la route du Caire…
Si l'argument du livre est en dernière analyse sans réelle surprise, Nasir excelle dans la description d'une métropole du Tiers-Monde : gigantesque, étouffant, secoué par les tremblements de terre, Le Caire dans la Tour des rêves évoque un premier cercle de l'Enfer, et pourtant c'est aussi un lieu vivant et apprécié — d'une certaine manière — par ses habitants, même les plus modestes. Et par Blaine, qui avec son aspect et ses revenus américains, joints à sa connaissance de la langue et des usages, peut naviguer entre les couches sociales. La description est aussi, visiblement, très proche de la réalité actuelle du Caire. Nasir sait de quoi il parle, et restitue avec humour la rhétorique théâtrale de la conversation arabe — il place par exemple, au cœur d'un passage d'action plein de suspense, une scène de marchandage qui est à pisser de rire.
Résultat : un livre aussi réussi que prenant.
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 41-42.