Keep Watching the Skies! nº 47, août 2003
Francis Berthelot : Nuit de colère
roman de Fantasy ~ chroniqué par Noé Gaillard
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Une des raisons pour lesquelles un auteur pénètre dans votre Panthéon personnel et s'y installe durablement est sans doute que vous avez perçu des affinités — électives — entre ses personnages — voire lui-même — et vous. Pour ce qui est de Berthelot je crois que je viens d'en découvrir (?!) une autre : le plaisir. Pas le plaisir simple de se laisser emporter au gré des épisodes et des aventures. Non, le plaisir complexe et peut-être un peu pervers de se mesurer à ce qu'il écrit. Vouloir ne pas se laisser emporter par la force des mots, refuser de se retrouver séduit et abandonné en plein mélodrame. Lire ainsi en résistant c'est goûter plus sûrement la beauté des pièges que l'on reconnaît.
Sans doute lassé de ne pas être médiatiquement traité comme il le devrait, Berthelot a changé d'éditeur. D'une part cela donne à sa couverture colorée une plus grande visibilité que celle que lui offrait un blanc passe-partout et salissant. D'autre part cela le rapproche du lectorat qui est le sien depuis plus de vingt ans — la réédition de Khanaor (ISF, 2002) s'imposait sans doute mais pourquoi laisser dans l'ombre la Lune noire d'Orion ?
Nuit de colère donc — sans doute pour faire pendant au Dies irae bien connu, et bien montrer que cette colère n'a rien de divin — où il est question des rapports qu'entretiennent les demi-dieux avec leurs dieux de pères, et entre eux. Mais attention, si les rapports sont empreints de la même violence que du temps d'Homère, ici nous sommes plus près des Mythologies de Roland Barthes (le Seuil • Point). Imaginez que sous l'œil plus ou moins indifférent du Dieu des dieux, deux dieux (Hadès et Poséidon, par exemple) aient donné naissance par le biais de mortelles à des individus détenteurs de plus ou moins les mêmes pouvoirs qu'eux… Berthelot nous raconte la destinée de Kantor, dont le père s'est immolé par le feu avec les autres membres de sa secte, et celle d'Octave, dont le père est un génie mondialement reconnu. Les fils des deux “monstres”, après l'affrontement plus ou moins imposé par leur situation de marginaux et leurs dons, vont s'associer, se prendre en amitié.
J'entends d'ici les critiques hurler au schématisme des situations, au simplisme de la dualité… si vous vous arrêtez là c'est vous qui faites dans le schématique. Bien sûr, Kantor est toujours vêtu de noir et brûle du combat que se livrent en lui un certain bien, un mal certain. Bien sûr, Octave est tout blanc de pureté transparente, limpide comme l'eau des fontaines et souffre du froid de l'indifférence paternelle. Mais cela, c'est la première peau du récit qui se donne pour la plus profonde. Non ce qui compte c'est le combat d'Octave et de Kantor pour échapper à la lutte qui les ronge. Et si Kantor s'invente avec le père d'Octave le père qu'il aurait voulu, il lui faudra perdre, égarer dans l'action, noyer son combat intérieur pour avoir la paix.
Berthelot échappe pour moi au simplisme de la dualité de ses personnages et les construisant comme des poupées russes ou des oignons et en les plaçant perversement entre des miroirs ou des reflets de miroirs…
Pour me résumer — c'est peut-être utile — Kantor et Octave sont des “étrangers”, des Meursault à eux-mêmes et au monde qui ne peuvent se retrouver qu'en perdant leur part d'inhumanité, de divinité — on ne s'étonnera pas de la scène au cours de laquelle Kantor renie le dieu des chrétiens en stigmatisant son indifférence.
« Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde… » Il me semble que cette citation extraite de la dernière page de l'Étranger d'Albert Camus rend bien compte de cette Nuit de colère.