Claude Aziza : Guide de l'Antiquité imaginaire : roman, cinéma, bande dessinée
essai, 2008 & 2016
- par ailleurs :
Aziza connaît — c'est une litote — l'antiquité, la littérature, la bande dessinée, le cinéma — il manifeste même qu'il est un peu fatigué de l'estampille “spécialiste du péplum” —, et il connaît pas mal d'autres choses encore, dont la SF. Ce qui justifie de parler ici d'un guide qui excède par nature très largement cette dernière. Mais qui évoque dès sa deuxième page de texte l'épopée de Gilgamesh et l'Histoire véritable de Lucien, et de façon explicite comme ancêtres du genre. Qui commence par évoquer le vaste rêve poursuivi des siècles durant sur le monde antique, avant de se lancer dans la tripartition annoncée par son sous-titre. En commençant par les romans, et par l'Astrée d'Honoré d'Urfé, qui remonte au début du xviie siècle et n'a, il faut bien le reconnaître, aucun rapport avec ce qui nous intéresse ici. La présentation autour de onze œuvres-phare (des Martyrs de François-René de Chateaubriand aux Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar, en passant par le Roman de la momie, Ben-Hur ou Quo vadis ?), et en cinquante et une pages dont plusieurs immaculées, si elle est étincelante d'intelligence, n'est pas vraiment faite pour permettre de parler de SF littéraire, ou même de Fantastique, même s'il y a à faire, et si l'auteur le sait, qui outre la Momie sus-citée et sa vision du temps qu'il compare à celle de romans de Science-Fiction, évoque d'autres momies d'épouvante, et largement la Vénus d'Ille de Prosper Mérimée, rappelle que Howard Fast a aussi écrit de la SF, et plus loin, nomme Jules Verne, Abraham Merritt, José Moselli, Robert Silverberg, Poul Anderson, Marion Zimmer Bradley et tout ça en une seule page, la 176 si vous voulez vérifier. On y reviendra.
Pour l'heure, après les romans, c'est le tour des films. En un tout petit peu moins de cinquante pages, de nouveau parfois blanches au gré de neuf courts chapitres, non plus centrés autour d'une œuvre, mais d'une époque. Avec des avalanches de titres, et des découvertes à la clé, pour ce qui est du temps du muet, mais même ensuite. Et aussi bien des chefs-d’œuvre (si !) que des nanars patentés. Peu de SF, encore qu'Hercule rencontre des Atlantes ou des vampires. Ceci avant la BD. En à peine moins de pages. Moins chronologique que thématique cette fois. Et allant du pédagogique au semi-pornographique (et avec un retour au cinéma le temps de massacrer joyeusement le calamiteux Vercingétorix), en passant, tout de même, par la SF et genres annexes, entre Bob et Bobette de Willy Vandersteen découvrant une civilisation grecque sur la face cachée de la Lune ou voyageant dans le temps, Papyrus de Lucien De Gieter flirtant avec le merveilleux et réutilisant la mythologie, Wonder Woman (si !) ou de récentes histoires d'archéologue glissant vers l'antiquité (non, il ne s'agit pas d'une adaptation de De peur que les ténèbres…).
Ces panoramas sont suivis d'un catalogue. Jargonnant un peu, pour une fois (en général, il évite ce genre de travers professionnel), l'auteur parle d'un « répertoire des ressources fictionnelles des thèmes présentés »
. En annonçant une sélection sévère, mais fondée sur la disponibilité, qui est fluctuante, et la qualité, qui est subjective. De fait, il s'est limité à 365 titres (romans, films et bandes dessinées — les références “scientifiques” sont en prime) dont heureusement des regroupements façon “omnibus” : l'auteur annonce tout de même 350 romans, 120 films, 110 BD ; il n'en reste pas moins que le goût de trop peu est évident, mais l'envie de renâcler est atténuée par la qualité du choix. Par la répartition entre une analyse du thème, brillante, et le catalogue stricto sensu. Et pour nous, par la présence des littératures de l'imaginaire. Psychologiquement massive : il faut dire que le “répertoire” commence par l'Atlantide (on est à la page 176 plus haut citée) et finit par "une Autre Rome / le Passé recomposé" où il raconte effectivement, cette fois, De peur que les ténèbres…, et après quelques références à Byzance, qui arrivent comme cheveux sur la soupe mais comportent un Silverberg au Bélial’, il indique six uchronies, dues à Anderson, par deux fois, Silverberg, Rachel Tanner, Johan Heliot et Fabien Clavel. Et entre-temps, on trouvera des momies en vrac et Thèbes aux cent portes, les dieux de l'Olympe dans Malpertuis, le Minotaure de Thomas Burnett Swann, l'Homme dans le labyrinthe (pas mal de Silverberg, au total ; il faut dire qu'il y a la qualité et la quantité…), Ilium d'un auteur prolifique et assez triste personnage, le Soldat d'Aretê de Gene Wolfe, deux pages d'analyse sur "Antiquité et Science-Fiction", l'Empire de l'atome d'A.E. van Vogt parce que l'empereur Clane Linn est une combinaison de Laurent de Médicis et de l'empereur romain Claude… Bien entendu, ce sont là choses qu'il faut aller chercher au milieu de bien d'autres, des Aventures de Télémaque à celles d'Alix, d'Edgar P. Jacob à Maudite Aphrodite de Woody Allen, de Sinouhé l'Égyptien à Thomas Mann (Joseph et ses frères), de Spartacus ou de la série Rome à la Vie de Brian en passant par Deux heures moins le quart avant Jésus Christ de Jean Yanne et diverses versions de Bérénice, dont la Reine de Césarée de Robert Brasillach. Cités mais aussi parfois (trop rarement) commentés un peu plus longuement, et dans ce cas, avec précision mais aussi humour.
L'amateur de SF y trouvera-t-il réellement son bien ? Il fera peu de découvertes, c'est une évidence. Peut-être quelques livres oubliés (Wolfe ?) lui reviendront-ils à la mémoire. Mais il les reliera à d'autres, il les replacera dans un double contexte, thématique et littéraire. Il les verra peut-être autrement. Ce n'est déjà pas mal. Et puis il se dira que le volume n'a pas été écrit pour lui. Pour ses obsessions de collectionneur. Que le public visé est autre — heureusement sans doute pour l'éditeur, d'ailleurs, mais c'est une autre question. Et qu'à cet autre public, Aziza parle aussi de SF, indique des lectures, propose des pistes, y revient dans ses commentaires et encore à l'avant-dernière page de la conclusion ; bref, enfonce le clou. Et que ce désenclavement, ou que cette “croisade populiste”, ou que cette opération publicitaire, ou que cette mise à disposition pour des gens qui croient de bonne foi que ça ne les intéresse pas et vont découvrir qu'il y a au moins un petit canton de la SF qui recoupe leurs préoccupations (etc.), que cette opération, donc, est une œuvre pie. Donc qu'au total, il y a lieu d'applaudir, même si le sujet, et l'érudition souriante de l'auteur, auraient à l'évidence mérité un volume d'un bien plus gros tonnage — mais qui aurait été moins lisible, moins maniable, etc., etc., etc. : on sait…
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