Arnauld Pontier : Sur Mars : récit de voyage
court roman de Science-Fiction, 2009
- par ailleurs :
Curieux objet pour de la SF, et curieux livre pour de la littérature générale. C'est un petit objet, plus petit qu'un livre de poche, plus élégant aussi, ivoire plus que blanc, dont la couverture est illuminée par une typographie d'un orange soutenu et un disque de la même couleur, Mars bien entendu, avec ses reliefs et, en périphérie, une zone floue, comme une forme d'atmosphère. C'est un de ces petits livres précieux aux grandes marges, au texte comme une colonne de quotidien. Un bel objet, disons-le, comme nous n'en avons guère l'habitude ici. Rien que pour cela, l'éditeur mérite un coup de chapeau.
C'est aussi un récit sans histoire. Ou plutôt sans suspense identifiable, ni retournement, ni coup de théâtre. Loin de nos traditions nées du roman d'aventure. Le récit aplati de la première mission humaine sur Mars, sous forme de journal. Sans découverte sensationnelle, ni petit bonhomme vert, ni civilisation disparue, tout juste une atmosphère assez peu dense pour ne pas étonner, des matières premières des plus plausibles, les carcasses émouvantes des sondes antérieures. Sans catastrophe, ni tensions extraordinaires, ni drames, tout juste avec une opération rénale un peu délicate mais somme toute banale, et une histoire d'amour très en pointillé, plutôt unilatérale d'apparence, qui pourrait être plombée par quelque cynisme (stricto/stricto sensu), et dont il semble possible, sans nuire à l'intérêt de la lecture, de dévoiler qu'elle se finit par un baiser, dans une tradition plus qu'archaïque. L'amateur de naufrages, de découvertes, de courses contre la mort et de contacts du vingt-cinquième type, ou même de dilemme cornélien, de romantisme échevelé ou de marivaudage sous faible pesanteur, risque fort d'en être pour ses frais. Tant pis pour lui. C'est raconté. Point.
D'une certaine façon, c'est aussi le degré zéro de la divulgation scientifique, même si, encore qu'aux antipodes de toute esbroufe, cela soit loin d'être le degré zéro du style. Et la littérature générale pointe plus que son nez, ramène plus que sa fraise, avec le personnage principal, ses souvenirs d'enfance, l'ombre de son père, graveur amateur sans doute tué par les poussières de cuivre et les vapeurs d'acide… Reste que le “degré zéro de la divulgation scientifique” a son charme et mérite lui aussi un coup de chapeau ; que les souvenirs d'expéditions automatiques antérieures sont des petites madeleines pour tous ceux (qui commencent à vieillir) dont le goût pour la SF a été amplifié par l'actualité d'une conquête de l'espace pas encore condamnée à tourner court ; que les références sont précises sans être pesantes, d'un strict réalisme sans didactisme abusif. Et que les amateurs de didactisme seront satisfaits par des annexes techniques (sur Mars et sur les missions antérieures, des échecs soviétiques de 1960 aux programmes américain, japonais, européen, programmés (on l'espère) pour 2010, 2013, 2014). Et satisfaits aussi par un minimum de bibliographie assez récente, et par diverses notes (seul bémol, tout de même, tant qu'à faire jouer les charmes de l'édition à l'ancienne, lesdites notes auraient pu être en bas de page, rompant avec les superstitions récentes propagées par des éditeurs échappés d'écoles de commerce, aussi analphabètes qu'un politicien français d'origine neuilléenne, et persuadés que lesdites notes de bas de page constituent autant de porte-malheur faisant fuir un public condamné de ce fait à tourner frénétiquement des pages pour trouver des commentaires ou des explications dont l'utilité varie selon les connaissances ou les curiosités de chacun. Fin de cette certes trop longue parenthèse).
Et malgré tout ce qui précède, ou à cause même de cela, il y a là quelque chose qui intéressera étrangement l'amateur de SF. Peut-être parce qu'il s'agit en quelque sorte d'un très oxymorique “steampunk d'anticipation” : à l'aune de la SF, une anticipation technique à sept ans d'échéance a forcément quelque chose de rétrofuturiste. Peut-être aussi parce que l'auteur connaît manifestement la SF, et l'apprécie. Sous toutes ses formes. En incluant une bibliographie (romans) qui va de Wells et Flammarion aux Belmas et à Eschbach, en passant par Dick, Robinson, Bear ou Baxter. En y ajoutant une filmographie brève (six références de la Guerre des mondes de 1953 à celle de 2005) mais pertinente. Et complétée, dans le texte et les notes, par quelques autres titres, Lost in space ou Armageddon. Ou Matrix. En évoquant le souvenir de bandes dessinées “petit format”, Meteor, Cosmos et autres Atom kid, et des Voyages extraordinaires, cuvée 1935. Et un Galaxy de 1958. Plus Tintin, bien entendu. En évoquant les ascenseurs spatiaux et en renvoyant à Clarke. En saluant Roland Lehoucq. En casant des allusions à Stapledon, à Ballard, à Borges, mélangées avec d'autres, assez différentes et pourtant de même facture, à l'Atlantide de Pierre Benoit, au Racine de Phèdre, à Pierre Loti ou à Bertolucci… Bref, de quoi établir une complicité avec n'importe quel lecteur de KWS, ce me semble.
Autant dire qu'entre cette complicité potentielle, l'élégance de l'objet et de l'écriture, le plaisir de la lecture, l'étrangeté du propos (et le fait paradoxal mais évident que c'est la quotidienneté, la normalité, qui constitue[nt] la base de cette étrangeté), il serait bien dommage de passer à côté de ce livre. Ce qui pourrait bien arriver, et pas seulement à cause de son format inusité. Avis, donc, aux esprits curieux : il doit bien en rester…
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