Serge Lehman : Retour sur l'horizon
anthologie de Science-Fiction française, 2009
- par ailleurs :
Ouf, je viens d'achever la lecture du pavé… treize textes ressortissant à la SF et deux textes inclassables et plutôt malvenus (je dirai pourquoi plus loin). Si la précédente antho, Escales sur l'horizon du même anthologiste, avait eu des allures de manifeste pour toute la SF française de l'époque, on se doit, à mon sens, de constater que celle-ci est une régression dans la mesure où la sélection d'auteurs (“invités”) semble relever d'un Club (dans la présentation du texte "une Fatwa de mousse de tramway", Lehman parle de Notre Club — expression déjà utilisée en préface — et de soirées organisées par Catherine Dufour). Un club d'amis auquel se seraient joints par hasard, par autorisation du directeur de collection, par goût de l'auteur, par qualité littéraire, etc.,(1) des auteurs extérieurs et de grands anciens chargés de cautionner l'entreprise (le début du texte de Fabrice Colin est assez trouble sur ce point : véritable appel à texte ou invitation à laquelle Philippe Curval et André Ruellan font à Lehman l'honneur de répondre). Broutilles, me direz-vous en me traitant de byzantin… ou de frustré ; oui, sans doute, mais plus dignes du fanzinat ou de l'amateurisme que du professionnalisme auquel on est en droit de s'attendre pour 25 €. Et une dernière phrase de quatrième de couverture : « En quinze nouvelles, un panorama de la Science-Fiction la plus actuelle par quelques-uns des maîtres français du genre. »
; si c'est un “panorama”, pourquoi “quelques-uns” (on notera au passage que le « quinze grands récits »
de la couverture a vu sa prétention réduite à « quinze nouvelles »
), pourquoi tant d'“appelés” (155) pour si peu d'élus ?
C'est parti pour un passage au crible.
Préface (Serge Lehman) manifestement réservée à une élite et qui nous entraîne dans les livres de chevet du lecteur : Fredric Jameson, Henri Meschonnic, Guy Lardreau, Deleuze & Guattari. J'attendais Paul Virilio ou Baudrillard, peut-être un soupçon de Bourdieu, même pas. Par contre du Verne, du Wells, du Renard (Maurice), du Rosny aîné, du Poe, oui. Quelques formules lapidaires (emporte-pièce) du genre : « des écrivains aussi décisifs que Thomas Pinchon, Haruki Murakami, Michel Houellebecq ou Philip Roth… »
.” Houellebecq, écrivain décisif ? Pourquoi pas Naulleau pendant qu'on y est ? Et nous propose le mode d'emploi du livre, de la bible de la SF composée pour vous. Ce livre est une lecture du monde actuel à partir du filtre de Maurice Renard. Pourquoi pas ? L'ennui c'est que Renard c'est début xxe or la phase filtre a cent ans, et il me semble que le monde a singulièrement changé depuis et qu'il y a longtemps que la SF s'est appliquée à mettre en œuvre le filtre… et enfin que la métaphysique est depuis toujours en filigrane de tout ce qui s'écrit. En résumé, Lehman a suscité et reçu des textes répondant à ses idées et nous les impose avec un enrobage élitiste. Étrange panorama ! À mon sens, à ne voir et présenter qu'un aspect des textes, c'est-à-dire à les étiqueter pour ne pas nous effrayer, Lehman se prive du propre de l'Homme. Il ne voit ou refuse de voir tout l'humour en filigrane ou second degré des textes présentés — Ruellan et Calvo, qui par ailleurs manifestent un sens certain de l'humour, sont ici complètement décalés par le recours à un fantastique vieillot et banal.
"Ce qui reste du réel" / "Effondrement partiel d'un univers en deux jours" (Fabrice Colin / Emmanuel Werner). Genre — moi aussi, je peux faire dans le lapidaire —, “un non-auteur donne un non-texte / avec un titre long comme un jour sans pain et rappelant certain auteur français traducteur oublié de Dick”. Werner prétend à la parodie, ou alors c'est triste.
"Tertiaire" (Éric Holstein). Allez donc relire quelques nouvelles de Sheckley qui, elles, n'ont pas une ride, ou Pohl et Kornbluth.
"Une Fatwa de mousse de tramway" (Catherine Dufour). Le genre de texte qui sent l'humour et la lassitude, l'os que l'on donne à ronger pour éviter de faire de la peine. Quel cynisme, quel second degré ! Une auteure enfin qui ne vous cache pas le soleil.
"Les Fleurs de Troie" (Jean-Claude Dunyach). Du raffiné et du subtil côté écriture, qui n'a d'égal que l'idée de mise en parallèle de la pierre éternelle et du sable des rêves ; voilà un texte qui ne vieillira pas ou peu. On le retrouvera dans d'autres anthos dans les dix ans à venir. (Merci, Jean-Claude.)
"Pirate" (Maheva Stephan-Bugni). Un bon premier texte (le seul du recueil) qui, en n'évitant pas sa fin logique (celle du texte), parvient à toucher juste… À suivre.
"Trois singes" (Laurent Kloetzer). Marre de ce genre de textes qui rappelle la Nouvelle SF Française et certain texte de Paul J. McAuley paru en 2007 en "Ailleurs et demain" (Glyphes) sans vraiment apporter d'élément nouveau au débat. Un héros genre Surfer d'Argent ayant viré méchant. Seule trouvaille intéressante, le titre et les symptômes.
"Lumière Noire" (Thomas Day). Entre Mad Max et Luc Besson, en passant par la naïveté du héros et celle de l'auteur qui veut nous faire croire qu'un animateur radio entre Play ‘Misty’ for me (un Frisson dans la nuit) et Good morning, Vietnam peut hérisser l'Amérique de drapeaux blancs humanistes. C'est gentillet, et, vu le niveau de certains autres textes, on se demande ce que cela fait là.
"Temps mort" (André Ruellan). Ortog est retourné aux ténèbres ; il a rendu les armes… Ce n'est pas de la SF !
"Les Trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais" (Léo Henry). Hommage à Ray Bradbury, à Jorge Luis Borges, à Franz Kafka ? Ou à la culture des Indiens d'Amérique ? Le contenu, la trame des trois livres est plus intéressant que ce qui les présente et les entoure. Celui qui raconte manque d'épaisseur.
"Penchés sur le berceau des géants" (Daylon). Grave quand on croit qu'une fausse écriture poétique peut masquer le fait qu'on n'ait rien à dire. Genre de texte de débutant se croyant des affinités avec Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, ou les surréalistes, et persuadé que l'avenir littéraire est dans la SF.
"Dragonmarx" (Philippe Curval). Aussi finement écrit que le texte de Dunyach, pince sans rire comme ce n'est pas permis, un texte qui n'a pour prétention que celle de qualité ès divertissement avec en second degré un grand fond de dérision (et non d'indifférence). En cherchant un peu, on doit y trouver un hommage à la SF au moins dans la charge contre une certaine Fantasy. ("Dragonrouge" était déjà pris, comme titre.)
"Terre de fraye" (Jérôme Noirez). Le troisième meilleur texte (avec Dunyach et Curval). Celui qui accroche le lecteur à la fois par ce qu'il raconte et par la manière (bourrée de références) qu'il a de raconter. Dans le genre rencontre avec des extraterrestres, on a l'impression de lire un synopsis pour un Tarantino revisitant Mel Brooks. Du nanan !
"Je vous prends tous un par un" (David Calvo). Et ma copine Marcel garde mon sac. Ce n'est pas de la SF !
"Hilbert Hôtel" (Xavier Mauméjean). Un bel exercice de style pour un auteur habituellement plus inspiré. Le style en est comme d'habitude sans fausse note mais il n'y a rien qui puisse rappeler Palace ou Berthelot. (Moi aussi j'peux faire dans le culturel.)
Vous avez suivi ? J'ai pas trop fait dans le genre “Razzies” ? Dans le genre “mauvaise foi” ? Mais j'adore tirer dans les tas ; Dieu reconnaît toujours les siens, et là, il risque bien de se payer ma tête, encore une fois. Tant pis pour moi ; j'aime bien me faire plaisir…
Mais enfin, une antho anniversaire qui se veut panorama de la SF actuelle, qui propose quinze grands récits de Science-Fiction (son sous-titre) et dont seuls cinq textes ont à voir avec la qualité et l'originalité que tout lecteur est en mesure d'exiger… cela laisse rêveur. (On notera que ces cinq textes représentent les deux auteures — les seules de l'antho — et approximativement trois générations de SFF qui coexistent.)
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