Greg Egan : Schild's ladder
roman de Science-Fiction inédit en français, 2002
- par ailleurs :
Il y a des gens pour qui le moment le plus trépidant d'un livre sera une scène de combat, ou de poursuite dans l'espace. Et d'autres qui préféreront les troubles émois d'un premier amour. Greg Egan, sans nul doute, a une prédilection pour les démonstrations de théorèmes.(1) À condition qu'ils déterminent la structure de l'univers.
Cela fait des siècles que l'Homme s'est répandu dans le voisinage galactique de la Terre. Des siècles aussi que la physique quantique vit sur la même théorie, établie au xxie siècle par Sarumpaet à partir de la théorie des graphes. Cass est une physicienne aventureuse qui décide de tester, sur une station spatiale éloignée de la plupart des systèmes habités, un nouvel ensemble d'axiomes. L'expérience ne réussit que trop bien : un univers nouveau se développe à la place de l'ancien, et se propage dans toutes les directions à la moitié de la vitesse de la lumière, dévorant sur son passage les systèmes solaires colonisés par l'Humanité.
Quelques siècles plus tard commence le roman à proprement parler, avec l'arrivée de Tchicaya sur le Rindler, vaisseau consacré à l'étude rapprochée de la frontière du nouvel univers. Face auquel l'Humanité se divise en deux factions : ceux qui veulent détruire sans pitié cette bulle monstrueuse qui a oblitéré leurs planètes (ou menace de le faire), et ceux qui considèrent l'univers nouveau comme un fascinant objet d'études, à préserver. Tchicaya se situe résolument dans le second camp, baptisé the Yielders par ses ennemis, the Preservationists. Au nombre desquels il faut désormais compter Mariama, qui avait été tout pour lui au temps lointain de sa jeunesse. Tchicaya passe beaucoup de temps avec les Preservationists, à discuter de la base rationnelle de l'attachement à une planète — elle-même colonisée par l'Humanité quelques siècles auparavant seulement — alors que tout l'environnement dont une personne peut avoir besoin, et son corps lui-même, peut être reproduit de façon virtuelle, voire physique dans une certaine mesure.
On l'aura compris, Egan ne refuse pas le sentiment et la passion, mais considère avec une certaine pitié les êtres humains qui choisissent de se laisser encore dominer par leurs passions, et place résolument la connaissance en tête de ses priorités. “Transcendence was a content-free word left over from religion […]. Tchicaya said ‘I already possess general intelligence, thanks. I don't need anything more.’”
. On admirera l'optimisme de Tchicaya — ou d'Egan —, pour qui tout peut s'apprendre. Même s'il existe des fanatiques qui se mutilent délibérément pour renoncer au support quantique adopté par toutes les personnes civilisées, et font tourner leur logiciel personnel, de façon inefficace, sur le substrat définitivement démodé que sont les neurones.
Au-delà de ces péripéties, ce qui intéresse Tchicaya — et l'auteur — est de savoir ce qui se cache de l'autre côté de la frontière. Une fois ce point élucidé, tous les Humains de bonne volonté tomberont d'accord… Egan est un peu un Asimov d'aujourd'hui, en plus matheux : la topologie différentielle est aussi excitante pour lui que les explosions d'astronefs pour d'autres. Et il nous sert des dialogues théoriques interminables, ce qui affaiblit ce roman (déjà ancien), que je ne mettrais pas au même niveau que Diaspora, par exemple, et certainement pas que les meilleures nouvelles de l'auteur. Mais les mondes d'Egan (réels ou virtuels — si tant est que la différence ait un sens, on en vient à douter) sont tellement originaux qu'on lui pardonne tout, et que je lis quand même sans déplaisir.
- Voici le comportement des amoureux décorporés, en réponse à une question sur l'inanité de la sexualité virtuelle :
“What do you do instead? […]
↑
— Give gifts. Show affection. […]
— What kind of gifts?
— Art. Music. Theorems.
— Original theorems?
— If you're serious.”
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