KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Arto Paasilinna : le Cantique de l'apocalypse joyeuse

(Maailman paras kylä [le Meilleur village du monde], 1992)

roman d'Anticipation

chronique par Éric Vial, 2010

par ailleurs :

Ce roman aurait-il échappé aux amateurs de SF et aux critiques spécialisés ? C'est bien possible, et ce serait une excellente raison de le signaler ici, même si c'est avec un peu de retard. Et si ce n'est pas le cas, tant pis, on en parlera quand même. Parce que c'est de l'Anticipation, à défaut d'être tout à fait de la Science-Fiction pour qui veut jouer les puristes. Ça commence aux alentours de sa date de rédaction, ce qui en fait pour partie une de nos habituelles uchronies par inadvertance, et ça se termine vers la fin du premier quart de notre siècle. Dans treize ans. Entre-temps, il y a eu une sorte de fin du monde, racontée du point de vue d'une petite communauté isolée, qui y échappe. Donc, si Malevil était sinon de la Science-Fiction du moins de l'Anticipation, ce roman en est aussi.

Sauf qu'il commence étrangement. Par un vieux communiste finlandais, grand brûleur d'églises en bois, qui sur son lit de mort demande à ses héritiers d'en construire une. De créer une fondation funéraire. Autour de laquelle, malgré les récriminations administratives, et en particulier fiscales, naît une communauté villageoise. Rejointe par des écologistes. Devenant d'abord un but de tourisme, même si elle s'en défend. Puis très vite un refuge, parce que tout se déglingue à l'extérieur, à la suite d'une crise économique carabinée et désormais uchronique, car liée à la difficile intégration de l'ex-RDA dans l'Allemagne réunifiée (mais nous semblons capables de faire tout aussi bien sur d'autres bases). Dans le village, la vie continue, sur la base d'une autosuffisance rurale, entre pêche lacustre, venaisons d'élan et agriculture (dont pas mal de plantes aromatiques toujours utiles pour agrémenter la production des alambics). Elle continue entre quelques ennuis avec des trafiquants d'organes, la création d'une milice de skieurs de fond, l'arrivée d'une ancienne aumônière militaire et de quelques forgerons somaliens, l'explosion d'une centrale atomique en Russie, des échos de guerres ravageant le sud de cette même Russie, l'annonce de l'enfouissement définitif de New York sous ses déchets non déblayés d'où son déplacement un peu plus loin, un ours mal embouché, un colonel ex-soviétique, saxophoniste et reconverti en bouvier puis en gardien de prison (sauf si je mélange ici plusieurs personnages), une jeune femme que sa folie pousse à courir sans cesse et qui rapporte de ses courses quelques nouvelles plus ou moins plausibles, la chute d'un bombardier parti du Proche-Orient et supposé aller larguer une bombe atomique sur Madagascar, mais dont l'équipage s'est trompé de direction, dont les rotors seront fort utile pour faire fonctionner des barattes mécaniques, de brèves ténèbres nucléaires, une patrouille de cosaques, une horde de quarante mille femmes en marche, une toile du musée de l'Ermitage emportée par le vent et voisinant avec la Joconde, volée, elle, puis échangée contre des salaisons, un musée des arts et tradition populaires locales où un téléviseur couleur cabossé voisine, lui, avec un ordinateur portable désormais réduit au silence et d'autres choses encore, un chirurgien un peu improvisé mais préférable à la déglingue carabinée qui sévit à Helsinki, et les tarifs prohibitifs en termes de quintaux de poissons salés, et qui, en se faisant la main sur un ours cardiaque venu traîner par là, et qui en réchappe, obtient de bons résultats sur les Humains, des trop-perçus d'impôt payés sous forme de pemmican et trop avariés pour être récupérés, des souris grises d'église qui observent tout ça, et pour finir, une comète qui percute la Terre, de sorte que « L'Asie disparut. L'Europe but la tasse. On n'entendit plus jamais parler de l'Amérique. », de sorte aussi que le pôle magnétique part en vadrouille et que la planète a basculé sur son axe, ce qui n'empêche pas la petite communauté finnoise, devenue au fil du temps finno-russo-somalo-arabe (j'en oublie sans doute) de continuer d'exister, pendant que, par exemple, Montmartre s'est retrouvé sous six mètres d'eau.

Aucun raton laveur ne s'ajoute à cette énumération, mais ils ne semblent pas nécessaires à la Science-Fiction. Leur absence ne saurait donc être un argument pour ne pas parler ici de ce livre, ironique, déjanté, déglingué, qui voit le monde par un petit bout de lorgnette plutôt réjouissant, décrit une série de catastrophes sans leur attacher trop d'importance, déploie un humour que l'on qualifiera faute de mieux de finnois, et fait passer un sacré bon moment : il aurait donc été dommage de passer à côté, sauf à considérer qu'une apocalypse n'est pas joyeuse, et que c'est une chose à prendre avec un sérieux imperturbable. Ce que l'on est tout de même en droit de se refuser à faire. Et avec énergie, même.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 65-66, juillet 2010

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