Valéry Giscard d'Estaing : la Victoire de la Grande Armée
roman de Science-Fiction, 2010
- par ailleurs :
Il semble que ce livre ait fait relativement moins parler que les précédents du même auteur. Peut-être parce qu'il est moins mauvais : on a moins ricané. Ou parce qu'on n'a pas très bien su où le caser, entre histoire-fiction, roman historique, et la nuée d'ouvrages écrits ou signés par des hommes politiques présents, futurs ou passés et plus-que-passés. Et il semble que l'auteur ait voulu signifier qu'il ne s'agissait pas d'une uchronie. D'où on déduira qu'il ne sait guère ce qu'est ce genre — mais on sait qu'il a cette vertu, contrairement à la Science-Fiction classique, de ne pas absolument nécessiter une connaissance réelle de la production pour écrire un ouvrage intéressant, ou plutôt pour ne pas redécouvrir la lune, le fil à couper le beurre et l'œuf de Colomb.
On peut commencer par les ricanements. Les attaques ad hominem. Le côté un peu pathétique de la dédicace manuscrite imprimée sur chaque page 7. Un lien entre les fréquentes références à la mère du héros et la psychanalyse suivie autrefois par l'auteur. Le fait qu'il soit question de faire de Poniatowski le roi d'une Grande Pologne — mais on a vu bien pire depuis que le descendant d'icelui comme ministre de l'Intérieur, porte-flingue et porte-feu. Et une scène de réunion où Napoléon a un fauteuil au dossier plus haut que les autres, et relevé encore par une estrade, ce qui pourrait renvoyer à un épisode minuscule mais qui avait fort courroucé Jacques Chirac. Et aussi des maugréements littéraires, parce que comme on pouvait s'y attendre les scènes d'amour sont calamiteuses, même sans lady Diana ni auto-stoppeuse ; le style relève de la maison Harlequin, de façon manifeste, avec des phrases comme « Ses lèvres étaient douces et sentaient la framboise »
: il y en aurait quelques autres, mais on ne les infligera pas au lecteur de KWS. On ajoutera que la double histoire d'amour est d'un machisme et d'une suffisance sociale assez désespérants, du moins pour qui a un cœur de midinette et souhaiterait que le futur maréchal-comte épouse sinon une bergère du moins une gouvernante — pure naïveté du reste de la part du critique fatigué.
On peut ensuite s'amuser à trouver quelques échos déformés de l'actualité, dont un appui futur à la Russie dans son expansionnisme aux dépens des Ottomans, autant dire de la Turquie, contre-pied de ce que fut la guerre de Crimée, et pour lequel on peut toujours soupçonner un rapport avec certaines histoires d'ouverture européenne. Dont aussi quelques commentaires sur l'impossibilité d'une république en France, pays trop changeant et trop violent, et sur les avantages d'un empire libéral. Dont enfin une construction européenne avec déclaration de paix générale, sans les Anglais et sans les Russes (sans les Turcs non plus, on l'aura compris) mais avec siège à Strasbourg. Et sans doute constitution européenne demandant du génie pour sa rédaction, mais Goethe, disponible à l'époque décrite, ne l'était plus il y a seulement quelques années.
On peut enfin s'occuper de ce pour quoi il est question du roman ici. Donc de l'uchronie. De la volonté de refaire l'Histoire. De transformer une déroute en victoire. Ce qui pourrait renvoyer à quelques problèmes personnels, vieux de trente ans. Cela suppose tout de même de reconnaître la décence, le bon goût, ou simplement la prudence qui ont conduit à ne pas imaginer une réélection en 1981. On ne ricanera donc pas trop sur un transfert sur Napoléon ; encore que l'abdication volontaire de celui-ci et le fait qu'il se concentre ensuite sur l'organisation de l'Europe puisse être une version magnifiée, repeinte, rectifiée, de 1981 et la suite vécus par VGE. En tout cas, les choses sont simples : Napoléon est à Moscou, et il a le trait de génie de ne pas y rester. Non pas de fuir, mais de rentrer, quitte à ce qu'il faille quelque victoire en cours de route pour que ce ne soit en aucun cas une retraite en bon ordre. Et il confie à un jeune colonel, promu général sur le champ et qui finira maréchal-comte comme déjà évoqué, une mission délicate : feindre avec ses troupes d'être l'arrière-garde, mais loin de la vraie, pour amuser les Russes, les désarçonner, les empêcher de comprendre ce qui se passe. L'essentiel de ce qui suit est la description de cette mission, avec intermèdes offerts par la gouvernante plus haut citée et par une noble dame polonaise, qui sera, elle, bel et bien épousée. Avec descriptions d'unités, passage par la forêt de Katyn, passage sans dégât de la Bérésina, escarmouches, loup réel ou supposé, et justification de la politique des représailles avec mise à mort, mais cela est une autre affaire. Tout cela le temps que la Grande Armée sorte de Russie. Ce qui mène en gros à la page 230.
Reste la suite. Une abdication, une réorganisation de l'Europe, des projets non pas de paix perpétuelle mais de stabilité avant un affrontement futur avec l'Angleterre sur mer. Une uchronie nettement plus ambitieuse que le récit antérieur, et donc plus rapidement esquissée. Donc décevante pour ce qui est du récit, mais point de départ pour l'imagination, ce qui n'est pas totalement insatisfaisant. Tant pis si la construction n'est pas parfaite ; elle ne l'était pas non plus dans le Complot contre l'Amérique, l'uchronie commise par Philip Roth, auteur qui a pourtant une autre réputation, et un autre souffle. Cela se lit.
On peut en rester à des comparaisons au sein de l'Académie française, lieu où l'on sait qu'ils sont quarante à avoir de l'esprit comme quatre. Dans ces conditions, on dira que c'est certes en dessous de la Gloire de l'Empire, qui n'a pas grand-chose de napoléonien et est dû à Jean d'Ormesson. Mais que c'est infiniment supérieur au Feld-Maréchal von Bonaparte, machin de feu Jean Dutourd étrillé autrefois dans ce fanzine. Entre les deux, on trouvera certes de la marge…
Par ailleurs, on ne se demandera pas s'il aurait été question de ce livre ici si c'était l'œuvre d'un autre auteur : comme il s'agit d'une uchronie, sans doute ; à condition bien entendu qu'il ait dans ces mêmes conditions trouvé un éditeur — ce qui aurait sans doute été le cas, mais dans une maison moins connue sans doute, avec moins de couverture, avec moins de raisons d'en trouver trace et d'en entendre parler par la presse. Et j'en parlerais sans nul doute moins longuement, faute de référer bien des choses à ce que l'on sait ou croit savoir de l'auteur. Peut-être d'ailleurs est-ce ce qu'il faudrait faire. Ne pas se soucier de la signature. Même si c'est difficile. Et on aurait alors à lire une uchronie napoléonienne un peu inaboutie mais pas scandaleuse, propre à satisfaire l'amateur de roman historique avec intrigue vaguement amoureuse et description de batailles… Rien de déshonorant au total, ce qui pourrait signifier que le genre a des vertus.
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