Jordi Cussà : A reveure, Espanya
roman catalan de politique-fiction inédit en français, 2010
- par ailleurs :
Nous sommes au printemps 2038, et tout le monde en Catalogne (enfin, dans le Principat : au nord de l'Èbre et au sud des Pyrénées) s'apprête à célébrer le vingtième anniversaire du 23 avril 2018. Cette Saint-Georges-là,(1) ce qui n'était que la Generalitat, communauté autonome de l'État espagnol, a décidé par un vote presque unanime de son Parlement de proclamer son indépendance, et le roi, au grand dépit de ses généraux les plus bellicistes, a opté pour se satisfaire d'un statut analogue à celui de la reine d'Angleterre au sein du Commonwealth.
Tout s'est extraordinairement bien passé. Si bien passé que la protagoniste, Sophie McBrides Martorell, étudiante en cinéma à Édimbourg et petite-fille (par sa mère) de la première chef de gouvernement de la Catalogne indépendante, Blanca Martorell Cervantes, finit par se douter qu'il y a anguille sous roche. Si vous avez bien décodé la phrase qui précède, et observé les noms de famille des deux personnages cités, qui obéissent au système hispanique (une personne reçoit comme patronyme le patronyme de son père, suivi d'un matronyme qui est le patronyme de sa mère), vous aurez déduit que Mamie Martorell s'est passé de mari pour avoir sa propre fille. Il y a donc un mystère de filiation à résoudre, et vu le rôle de la famille de Sophie et de ses proches dans l'histoire récente de la Catalogne, on se doute que ce sera éminemment politique ; mais bien plus que cela, on apprend à la moitié du livre que le vote miraculeux du Parlement de Catalogne n'a été acquis qu'à la suite d'une série de chantages exercés sur les leaders politiques de différents partis. Le livre s'écarte alors du terrain de la politique-fiction pour rentrer dans le roman d'enquête, avec révélation finale à la clé, au bout de la découverte de beaucoup de linge sale dans les placards…
Ce court roman est marqué par les intrusions souvent ironiques de l'auteur dans la narration, ce qui peut gêner, mais est bien dans la lignée des polémistes de la presse catalane. S'il ne met en scène aucune personne ayant réellement existé, il exige bien entendu du lecteur un bon niveau de connaissance de la politique et des traditions catalanes (ou du moins de leurs traits distinctifs les plus emblématiques, voire caricaturaux). Je me serais passé d'une partie des jeux de séduction saphiques entrecroisés qui, quoique liés à l'intrigue principale, finissent par me sembler aussi forcés que la description des repas de famille. Mais, en Catalogne comme en Occitanie ou en France, la nourriture fait partie de ces traditions que l'on défend avec un sens sourcilleux de l'honneur national. Le livre a le mérite d'être court et enlevé, histoire de ne pas laisser le lecteur réfléchir à la quantité de coïncidences qu'il se permet, et se lit sans déplaisir, mais sans profonde émotion.
- Ou Sant Jordi. La fête du saint patron de la Catalogne est depuis bien des années consacrée au livre (en catalan !) avec un succès qui ne se dément pas.↑
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