Laurence Suhner : Vestiges (QuanTika – 1)
roman de Science-Fiction, 2012
- par ailleurs :
Quand j'étais petit, ça ne se faisait pas. L'auteur débutant était censé faire ses preuves avec quelques nouvelles, passer à un premier roman et écrire des œuvres d'une longueur proportionnelle au nombre d'années passées sous le harnois. Pas démarrer sur les chapeaux de roues avec une trilogie. L'irruption de la Fantasy a changé tout ça, aux USA et chez nous. Enfin, en Suisse pour le moment :-).
Laurence Suhner — que, soyons sérieux, nous avons déjà lue sous forme courte dans l'anthologie Dimension Suisse — se lance donc avec une trilogie de space opera qui devrait dépasser les mille cinq cents pages quand tout sera publié si on en juge par la grosseur du premier volume. De tels chiffres n'auraient pas grand intérêt s'ils n'étaient à la mesure de l'ambition du projet, qui mêle premier contact, aventure, roman familial, et hard SF avec ses allusions à la mécanique quantique.
Nous sommes sur la planète Gemma, colonisée depuis deux siècles par les Humains. C'est la plus proche de notre vieille Terre où l'on ait trouvé une atmosphère respirable, même si elle est à quelques années-lumière de notre soleil, dans le système d'AltaMira (ne le cherchez pas sur vos cartes stellaires). Toutefois, l'endroit est glacial, l'implantation humaine reste clairsemée, motivée surtout par l'exploitation minière et un peu de recherche scientifique. Il faut dire que tourne en orbite autour de la planète un artefact étranger, le Grand Arc, que nul n'a réussi à aborder ou à pénétrer : il se défend trop bien. Le GNOM, Gouvernement pour un Nouvel Ordre Mondial, n'est ni trop démocratique, ni trop porté sur la recherche pure, et se satisfait de cet état de choses.
Mais la compagnie CosmoTek a chargé en toute discrétion le docteur Ambre Pasquier d'une expédition de recherche vers un lieu que l'on suspecte d'abriter d'autres artefacts extraterrestres — tout en prétendant que le détachement de chercheurs n'est là que pour faire des analyses géologiques et biologiques. C'est que l'environnement n'est pas sûr ; il y a dans le coin des indépendantistes gemmiens vaguement écolos, et des miliciens dont on va découvrir les tendances putschistes… sans compter les membres de l'expédition qui pourraient travailler clandestinement pour d'autres organisations intéressées par les éventuels résultats. Ajoutons au cocktail le voisinage de la base de recherche Tétra, dirigée par le professeur Stanislas Stanford, qui cherche à percer le secret d'anomalies physiques qui se produisent dans les parages.
Le cocktail détonnant de mystères naturels, de formes de vie étrangères et d'intrigue politico-militaire n'aura rien pour dépayser l'amateur de SF. C'était même une sorte de règle implicite dans des récits de la tradition pulp comme ceux mettant en scène Doc Savage. La trilogie QuanTika se singularise par le nombre et la diversité de ses personnages principaux. Le professeur Stanford ne fait finalement que de brèves apparitions, en compagnie de son chat Erwin,(1) mais sa fille Kya, déchirée entre sa fidélité à son père et son engagement auprès des rebelles gemmiens, est un protagoniste majeur du livre. Il faut aussi compter avec Haziel Delaurier, qui cache derrière ses dehors de pilote d'aéronef blagueur, dragueur et bagarreur, une formation scientifique poussée et beaucoup de générosité ; et Ambre Pasquier, torturée par les souvenirs oniriques de son enfance presque oubliée, passée dans une Inde parée de qualités mythiques. Et n'oublions pas Tékélam, un extraterrestre venu d'une lointaine planète que, on le sent bien, les protagonistes humains vont rencontrer. Mais je n'ai rien dit d'une foule de personnages secondaires — le savant opportuniste et vendu, la fidèle seconde de l'expédition, le petit chef des rebelles aux méthodes souvent mesquines, le scientifique trouillard, et une foule d'autres qui chacun à leur tour passent sur le devant de la scène.
Dans ces conditions, on comprend que l'action n'avance que lentement, par rapport au nombre de pages du livre. Oui, il y a des découvertes, de l'émotion, des morts même. Mais aucun bouleversement par rapport aux données de départ (que deux cents pages ont à peine suffi à nous exposer). Vous aurez compris que mes vieux yeux se fatiguent plus vite qu'à une époque, que mes occupations me laissent moins de temps de canapé, et que j'aurais préféré un rythme plus nerveux, même si, après tout, je ne dédaigne pas me plonger dans un livre-univers de temps à autre.
Si je ne me suis pas plongé à fond, c'est que certains partis pris de l'auteur ont pu me surprendre. Comme de supposer qu'au xxve siècle, un certain nombre de stéréotypes nationaux (sur les Norvégiens, les Indiens, etc.) aient pu se perpétuer. Oui, cela fait partie des entorses à la déduction minutieuse, des licences littéraires que la SF s'autorise pour se rendre plus immédiate. Mais j'aime ma SF plus sourcilleuse. J'aime aussi qu'elle ne mélange pas trop emphase et familiarité (quand elle ne recherche pas l'effet comique).
Vétilles que tout cela, si vous aimez le space opera. Le genre est peu pratiqué par les auteurs francophones, ne boudons pas notre plaisir, même si ce premier volume s'en tient aux amuse-gueules, aux allume-lecteurs. Ne manquons pas les suivants.
- De quel physicien, célébrissime pour une de ses expériences de pensée, était-ce le prénom ?↑
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