James Morrow : l'Apprentie du philosophe
(the Philosopher's apprentice, 2008)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
James Morrow aurait voulu être Voltaire. Passer sa vie à souligner le ridicule du sacré, à décaper les chapelles, à rendre à Darwin ce qui revient à Darwin — sans oublier de récupérer les pierres des temples écroulés pour esquisser l'architecture d'une morale profane.
Trop modeste pour s'attaquer aux mystères de la Création, l'Apprentie du philosophe se contente de ceux de la procréation. Mason Ambrose est, du point de vue de la société, un philosophe raté : sa thèse de doctorat a été refusée par l'université. Il serait plus juste de le voir comme la victime collatérale d'une bataille idéologique, un membre de son jury ne pouvant pas supporter le point de vue athée du texte d'Ambrose, Morales terrestres (et si Morrow caricature sans doute ici le fonctionnement de l'institution, il ne faut jamais oublier que l'influence des fanatiques religieux aux États-Unis nous surprendra toujours).
Sans dieu, mais pas sans chance, Mason rencontre le docteur Edwina Sabacthani,(1) une biologiste immensément riche qui lui offre un job en or sur une île au large des côtes de Floride : fournir une “boussole morale” à sa fille Londa. Mason découvrira vite que cette Isla de Sangre est une sorte d'île du Docteur… Morrow :(2) Londa n'est pas vraiment la fille d'Edwina, mais une clone à la croissance accélérée, qui a pu être dotée de souvenirs et de connaissances, mais pas du sens moral que la plupart des humains acquièrent au contact de leurs semblables. Mason se met à l'œuvre en puisant dans l'histoire de la philosophie, mais se rend vite compte qu'Edwina a fabriqué deux autres “filles”, artificiellement menées à divers âges apparents.
Un livre entièrement consacré à une Gedankenexperiment sur la construction du sens moral aurait pu être passionnant intellectuellement, mais aurait couru le risque de l'ennui du lecteur pressé. Qu'à cela ne tienne, le décor va changer deux fois au cours du roman — la mort d'Edwina libère Mason qui reprend sa vie d'intellectuel impécunieux, et surtout Londa qui, immensément riche par héritage, se redéfinit en super-héroïne féministe. Et va se heurter aux forces de l'obscurantisme religieux. Leur description ferait pleurer de rire, si leurs modèles réels n'étaient pas encore plus effrayants par certains côtés.
Rentré à Boston, Mason Ambrose (à qui Morales terrestres a assuré une petite notoriété) s'est marié. Sa femme, Natalie, a dû subir une IVG pour raisons médicales. Hélas, un groupe de fondamentalistes mené par Enoch Anthem a mis la main sur la technologie utilisée par Edwina, et les prend pour première cible de son programme de représailles : à partir du fœtus de Natalie a été créée une copie d'être humain adulte, John Snow, à la vie courte, malheureuse, et vouée à la détestation de ceux qui n'ont pas voulu être ses parents.
Je vous passe les autres épisodes du combat entre Londa Sabacthani et Enoch Anthem. Morrow n'a pas perdu son sens de l'humour, et sa capacité à habiller des contes philosophiques profonds des oripeaux du Grand Guignol. Enoch Anthem est un méchant comme on aime les huer, mais les relations tumultueuses entre le couple Mason/Natalie et John Snow 0001 sont vite empreintes d'une tendresse désespérée. Comme si cette créature artificielle et dénaturée par un gang de fanatiques pouvait vraiment être l'écho d'un désir d'enfant. À travers lui, comme à travers Londa et ses sœurs, se pose le problème de l'éducation, qui fait ou défait les personnalités. Sans que les parents se rendent toujours compte de ce qu'ils font, tant la vie vécue minute par minute est différente de toutes les théorisations qu'on peut en élaborer.
Le personnage de Londa domine le livre, même si on ne le suit que de loin. Sa passion pour la justice la prive du sens de la mesure dans les moyens à employer pour y parvenir. Et la caricature devient héroïne tragique, en nous laissant un goût amer après le rire et l'émerveillement. Morrow a eu l'occasion d'attaquer des sujets plus démesurés. Ce livre n'est peut-être pas le plus équilibré de ses romans. Mais on le lira avec étonnement et émotion.
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