KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Claude Ecken : la Peste verte

roman de Science-Fiction d'horreur

chronique par Pascal J. Thomas, 2014

par ailleurs :

Les éditions Armada, c'est Jérôme Baud, que nous connaissons et apprécions infiniment comme rédacteur de fanzines et organisateur de conventions. Il s'est lancé dans un projet d'édition et de réédition d'œuvres de SF francophone, ce qui est utile et fort intéressant. Beaucoup de livres ont été injustement oubliés, voire n'ont même pas vu la lumière du jour — Oniromaque de Jacques Boireau, paru dans une autre collection de la maison, est en attente sur mon étagère. Mais Armada nous allèche avec l'annonce d'autres œuvres de Boireau et de Stolze, et aussi l'Hétéradelphe de Gane d'Yves Frémion (prix Rosny aîné 1990, publié par un éditeur trop vite disparu avec tout son stock victime d'un incendie), et l'Erreur de France de Francis Valéry (qui n'avait connu qu'une sortie confidentielle malgré son indéniable valeur). Un projet à suivre et à soutenir, donc.

La Peste verte jouit d'un pedigree plus modeste : il était paru en 1987 dans la collection "Gore" du Fleuve noir, à la vulgarité assumée tant dans le propos commercial que dans la présentation graphique. La couverture de la présente réédition l'annonce donc comme du “fantastique”. Objection, votre horreur ! Si le livre a son quota de scènes dégoûtantes et sanguinolentes, qui se distinguent plus par l'intensité et l'imaginativité que par la quantité, ce qui est un point excellent, on y côtoiera également les tréfonds retors de l'âme humaine. Mais le mécanisme sur lequel reposent les événements extraordinaires au cœur du livre est présenté comme scientifique (un usage de la mycologie, version dermatologie, qui atteint certes des proportions champignaciennes),(1) et la vaste portée potentielle desdits événements, classent clairement le livre dans la Science-Fiction, catégorie anticipation proche, sous-division savant fou.

Nous sommes à Marseille. Dans les bars plus ou moins louches du port ou des quartiers Nord, prostituées et prolétaires se grattent de plus en plus souvent, et se couvrent de pustules. La peau est un organe auquel nous ne prêtons pas assez attention. Mince, mais omniprésent et nécessaire à la vie. Et les mycoses qui prolifèrent dans Marseille sont de plus en plus graves, de plus en plus résistantes au traitement, et surtout répandues en secret par le professeur Thalle, mycologue habité par des délires de vengeance. Une de ses victimes arrive à l'agonie dans le cabinet du docteur Jean Tallier, dermatologue en vue, qui se trouve involontairement mêlé à l'enquête que vont entamer Brigitte Guernes, sœur de la défunte, et l'inspecteur Tabouriechan.

Le livre n'est pas structuré comme un roman policier, en ce sens qu'il n'y a pas vraiment d'enquête, et que les personnages ont une rationalité à intermittence. Le livre est court, et il n'est pas parfait : la révélation finale est annoncée (ce qui est normal), mais trop vite et lourdement (d'autant qu'elle ne manque pas d'antécédents littéraires), le magnifique paysage urbain marseillais est trop peu exploité, les personnages ont des comportements étranges, parfois mal expliqués, les multiples changements de point de vue sont parfois superflus… À côté de cela, il possède d'impressionnantes qualités, dans la documentation (toujours un point fort d'Ecken), dans la description des mycoses et de leur amplification monstrueuse, et dans ce personnage, hélas trop peu développé, de victime du maniaque devenue bourreau à son tour de ses compagnons d'infortune, cobayes du savant fou. Bref, une réédition qu'il fallait effectivement oser.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 73, février 2014


  1. Mon correcteur orthographique s'indigne : il ne connaît pas l'œuvre d'André Franquin…

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