KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stéphane Przybylski : Club Uranium (Tétralogie des Origines – 3)

histoire secrète, 2016

chronique par Éric Vial, 2017

par ailleurs :

Troisième épisode d'une machine remarquablement huilée, qui fait se demander si le plaisir des rebondissements et de la nouveauté est ou n'est pas plus grand que celui de la répétition des schémas, de la perpétuation des modèles et, pour le lecteur, de la reconnaissance d'événements historiques. En tout cas, ça marche et l'épaississement de volume en volume ne nuit pas à l'appétit. Côté faits historiques, on notera l'équipée de Rudolph Hess en Grande-Bretagne, le coup d'État des partisans de l'Axe contre les Britanniques à Bagdad, et la liquidation de Reinhard Heydrich par la Résistance tchèque (un peu schématique toutefois, mais parce que j'attendais des choses du côté de l'actuel café des parachutistes — souvenir d'une visite à Prague). Côté modèles, l'auteur continue de brouiller les pistes, sans pourtant de complaisance — de fait, s'il est rappelé que des gens tout à fait honorables (selon des normes admises) peuvent se trouver d'un superlativement mauvais côté et d'assez parfaits salauds du bon, d'une part les premiers sont devenus des francs-tireurs, et d'autre part parmi les seconds, ceux qui sont les réprouvés d'entre les réprouvés (en clair, une version locale, réduite mais trash, des treize salopards) gardent une épaisseur humaine manquant à ceux qui les manipulent ; enfin, même les envahisseurs extraterrestres ne sont pas un bloc compact, pas plus que les humains. En gros, l'ancien compagnon/garde du corps de Hitler semble s'être mis définitivement à son compte, des Américains (et d'autres) sont prêts à collaborer avec les envahisseurs extraterrestres aux perspectives franchement génocidaires, et les premiers explorateurs envoyés par ces derniers sont, eux, convertis à l'idée d'un métissage assurant à la fois leur implantation et la survie de l'espèce humaine, à laquelle le lecteur peut être attaché, le susdit garde du corps pouvant d'une certaine manière être la préfiguration de ce projet. On ajoutera une profusion de décors, Irak comme d'habitude, Égypte, port somalien, New York, Angleterre, Nevada, Berlin, Miami… de quoi d'ailleurs rendre inacceptablement coûteuse toute tentative d'adaptation audiovisuelle, à laquelle pourtant tend la série tout entière. Et des épisodes répétitifs parce que racontés de différents points de vue, par des gens qui, même s'ils ne sont pas toujours humains, ne peuvent pas tout savoir. Le tout sur fond d'une gigantesque partie de cache-cache ou de course aux trésors. Les ficelles sont là, à n'en pas douter. Mais on en redemande (moi en tout cas). On se perd parfois un peu, non dans les personnages ou les lieux, mais dans les dates, du fait d'une circulation chronologique entre les deux après-guerre, même si l'essentiel se déroule pendant le Second Conflit mondial — mais ce n'est évidemment pas plus piégeux que Rêves de Gloire, les lieux et dates sont indiqués en début de sous-chapitre dans la tradition du thriller historique, et si emporté par la lecture on se sent parfois quelque peu perdu, si on se demande soudain non pas où on est mais quand on est, il suffit de revenir un peu en arrière : après tout, le lecteur jouit assez d'une position de supériorité (au moins apparente) par rapport à la plupart des personnages, puisqu'il a le point de vue de tous et sait donc ce que chacun ne sait pas, pour accepter que l'auteur manifeste ainsi parfois qu'il reste seul maître du jeu — il le manifeste aussi tout de même par quelques franches surprises, dont la finale, à l'avant-dernière ligne, apparemment contradictoire avec ce qui a été lu à peine quelques pages plus tôt, contradictoire aussi avec l'histoire que nous connaissons, et plus efficace pour donner envie de lire la suite que le suspense très classique sur lequel se finissait le deuxième volume. Vous verrez bien.

Dernière chose tout de même — une double inquiétude politico-historique. D'une part, il manque un joueur quelque part à l'est, tout juste évoqué parce qu'il résiste du côté de Stalingrad et interdit une expédition allemande vers l'Irak par le nord, et aussi sous les espèces d'une belle espionne : je me demande si l'on verra pointer les moustaches de Staline dans le quatrième volume : après tout, après des couvertures utilisant les drapeaux nazi, britannique et, ici, américain, celui de la feue URSS ne serait pas illogique. D'autre part, on semble s'acheminer vers un assez méchant complotisme anti-occidental, avec “élite” cooptée par les “fraternités” universitaires, et défense des intérêts matériels consolidés, y compris au détriment de l'humanité entière — je ne dis d'ailleurs pas qu'une version plus réaliste, sans extraterrestres invasifs, ne fait pas plus que titiller d'aucuns. Peut-être n'est-ce d'ailleurs qu'une fausse piste, ou plus exactement une réalité cachant encore d'autres tiroirs sous d'autres faux-semblants, comme l'auteur excelle à en emboîter : on verra bien avec le quatrième volume. En tout cas, il me semble y avoir de quoi dévorer, et attendre ledit volume, qui logiquement devrait être le dernier, du moins si l'on prend plus au sérieux “tétralogie” que “des origines”.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 80, juillet 2017

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