Neil Clarke : Forever, #1, February 2015
a science fiction reprint magazine, 2015
- par ailleurs :
Forever est une revue mensuelle électronique de “réimpressions” disponible sur abonnement ou vente au numéro. Ce premier numéro est disponible un temps gratuitement, et regroupe trois textes déjà donc publiés ailleurs.
Susan Palwick avec "the Fate of mice" (paru en janvier 2005 dans Isaac Asimov's science fiction magazine) met en scène un dialogue, nécessairement tendu, entre une souris de laboratoire et le scientifique qui l'étudie. L'originalité, et l'humour, de la chose arrivent quand on se rend compte que la souris a des souvenirs, inexplicables, d'un peu tous les contes où figurent des souris…
"Firebrand" de Peter Watts (2013) est un exemple d'humour plus élaboré, mais aussi plus lourdingue. Une souche de microbes destinée à produire des biocarburants échappe à tout contrôle, se retrouve dans les intestins humains et provoque une épidémie de combustion spontanée. C'est raconté par les employés qui ont été chargés d'étouffer l'affaire, ce qui produit une distanciation ironique — pas assez pour que je sois tombé sous le charme.
La pièce de résistance de cette édition est le long récit de Ken Liu, "the Regular" (2014).(1) Nous avons affaire à un récit policier, qui met aux prises the Watcher, tueur en série de prostituées, et Ruth Law, détective privée, ex-policière, au passé compliqué. Jusque-là, rien que de très banal. Mais le tueur, qui n'est en rien un regular (client régulier) de ses victimes, commet ses crimes pour un motif original : il veut récupérer les caméras enregistreuses que certaines filles se font implanter au fond de l'œil, en guise d'assurance contre des clients violents, pour utiliser, lui, les enregistrements à des fins de chantage. Pourquoi l'extraction des données nécessite-t-elle un meurtre, on peut se le demander, et Liu fournit une raison qui me semble quelque peu tirée par les cheveux.
Ruth est certainement le personnage le plus intéressant du récit. On l'a dit, elle a été policière, comme elle a été mariée (à un autre membre des forces de l'ordre) et comme elle a eu une fille. Ses fonctions passées lui valurent d'être équipée d'un Regulator, un mécanisme au sein de son cerveau qui “maintains the levels of dopamine, noradrenaline, serotonin and other chemicals in the brain and in her blood stream”
. Effet net ? Contrôlé par la volonté de son propriétaire, il lui permet d'influer sur “her basic emotions: fear, disgust, joy, excitement, love”
.
Le Regulator est obligatoire pour les policiers parce que, pense-t-on, il leur permet de prendre des décisions difficiles dans des situations critiques. Mais Ruth a choisi de ne pas écouter les conseils du Regulator un jour où sa propre fille était en danger… et ça s'est très mal terminé. Depuis, elle est droguée au Regulator, qu'elle ne débranche pratiquement plus, malgré les avertissements sévères de son médecin. Oui, vous me direz que dans un roman noir, la bouteille de whisky dans la poche de la gabardine du détective jouerait sensiblement le même rôle…
Au moment le plus tendu du récit, la question qui va naturellement s'imposer est celle de l'emploi ou pas du Regulator, et plus largement de l'utilité des émotions dans la vie humaine. Sans que les réponses implicitement apportées par Liu soient des plus surprenantes, il sait nouer les tripes du lecteur en dosant le suspense, et ajoute au mix du thriller une bonne dose de technologie imaginative.
Ken Liu reste un auteur à suivre ; et les réalisations éditoriales de Neil Clarke, au-delà de Forever le magazine et notamment ClarkesworlD, sont elles aussi prometteuses.
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