Henry Lion Oldie : la Malédiction
nouvelles traduites du russe et rassemblées par Patrice & Viktoriya Lajoye, 2017
- par ailleurs :
Pendant longtemps, la seule référence de littérature de genre soviétique disponible sous nos contrées était limitée aux œuvres des frères Arkadi et Boris Strougatski (Il est difficile d'être un dieu ou Stalker). Depuis cette lointaine époque, les évolutions culturelles et politiques ont permis à de nombreux éditeurs français, petits ou grands, d'aller à la découverte d'autres auteurs et créations littéraires issus de l'immensité de l'ex-Union soviétique.
Les éditions de l'Atalante publient ainsi les romans post-apocalyptiques du romancier russe Dmitry Glukhovsky (Métro 2033), tandis qu'Albin Michel fait découvrir la Fantasy urbaine du Kazakh Sergueï Loukianenko (les Sentinelles de la nuit). Pour leur part, les bordelaises Mirobole éditions ont traduit les romans ou nouvelles des auteures russes Anna Starobinets (Je suis la reine) et Yana Vagner (le Lac), ainsi que du Moldave Vladimir Lortchenkov (Des mille et une façons de quitter la Moldavie) récemment récupéré par Agulo éditions. Et la liste de cette discrète invasion littéraire est loin d'être exhaustive. Le point commun de tous ces écrivains est de laisser transparaître dans leurs différents travaux cette âme slave si caractéristique, cette douce mélancolie, ce léger défaitisme et cette rébellion qui couve. L'autre similitude de toutes ces œuvres est qu'elles sont toutes écrites en russe.
L'âme slave est bel et bien présente dans les cinq textes proposés par Lingva dans la Malédiction, recueil de nouvelles du bicéphale auteur ukrainien Henry Lion Oldie alias Dmitrij Gromov et Oleg Ladyženskij.
Et si ce recueil donne une impression de déjà-lu, c'est parce que quatre des cinq nouvelles proposées ici ont été publiées précédemment dans les pages de la revue Galaxies ou bien dans celles de l'anthologie Dimension Russie de Rivière blanche.
Le plus slave des cinq textes est très certainement le premier de l'ouvrage, "Relève-toi, Lazar", qui conte les mésaventures de Lazar Petrovich Ostimski, une histoire de magie et de marché noir des sentiments qui vaut par son ambiance.
La moins slave des nouvelles de ce recueil est la suivante puisqu'elle entraîne ses personnages principaux, Eddie McGrave, le Binoclard et Noiraud, ainsi que ses lecteurs dans "le Huitième cercle du métro", une infernale et mortelle version futuriste des jeux télévisés mâtinés de télé-réalité.
Dédié à Roger Zelazny, "Viens me voir dans ma solitude…" est un superbe texte fait de nostalgie dont le narrateur est un batelier solitaire qui attend en vain que quelqu'un sollicite ses services. Cela n'arrive plus depuis longtemps, car tous ont déjà franchi cette rivière qui ressemble tant au Styx.
C'est une sorte d'hommage au "Corbeau" d'Edgar Allan Poe qu'exprime sans retenue "Nevermore", un autre récit post-apocalyptique du duo Henry Lion Oldie.
"La Malédiction", qui donne son titre et vient clôturer ce recueil, entraîne les lecteurs dans un monde où la magie et les sortilèges font partie du quotidien. Dans cet univers bien différent du nôtre, le malefactor Serafim Nexus enquête sur le mauvais sort qui frapperait le village de Clair-comme-bonjour. Cette malédiction serait la seule et unique lancée par Nikhon aux cheveux blancs, il y a cent ans. L'amour qui était au centre de la première nouvelle de cet ouvrage prend une tout autre dimension dans ce récit.
Fantastique, Science-Fiction, Fantasy, tels sont les mauvais genres abordés à travers les cinq textes qui composent la Malédiction. Ils permettent ainsi de retrouver cette tonalité si différente que peut avoir la littérature slave, qu'elle soit ukrainienne comme ici sous la plume d'Henry Lion Oldie ou bien russe. Le dépaysement est définitivement assuré.
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